HUS KINGPIN – Portishus

HUS KINGPIN – Portishus

Portishead fut un grand groupe de hip-hop. Jamais un groupe de rap, certes, Beth Gibbons n’a jamais rien fait d’autres que chanter. Mais avec les sons noirs de Geoff Barrow, avec leurs ambiances ténébreuses et leur humeur en berne, ils évoquaient inévitablement le rap de rue new-yorkais qui faisait alors surface, de l’autre côté de l’Atlantique. Enlevez les raps, la posture ghetto et tout le folklore kung-fu à Enter The Wu-Tang et vous n’êtes plus très loin de Dummy, deux œuvres qui, l’une comme l’autre, peuvent raisonnablement prétendre au titre de meilleur album des années 90.

Plus que Massive Attack et les autres, Portishead a légitimé la présence du mot « hop » dans le terme « trip hop ». Cette parenté a été soulignée plus tard par Geoff Barrow avec son projet Quakers. Il n’y a donc rien d’illogique si Hus Kingpin, l’un de ceux qui, apparus dans l’ombre de Roc Marciano, s’efforcent de donner une suite au rap qui sévissait vingt ans plus tôt, ait décidé de s’inspirer des Anglais sur tout un projet, trois ans après avoir samplé leur « Cowboys » sur « Hannibal Hus ».

Ce n’est pas la première fois que le rappeur de Long Island articule toute une œuvre autour d’un concept. Sa série de mixtapes House Of Kingpin tirait son nom de la série House Of Cards, tandis qu’une autre avait été placée sous l’égide du basketteur Richard Dumas. Et avec son éternel complice SmooVth (membre de son collectif #TheWinners), s’appropriant le titre du premier solo de Prodigy, il avait sorti H.N.I.C.: Hempstead Niggas In Charge. Ces projets, Hus Kingpin les prend au sérieux.

Portishus ne fait pas exception. Hus Kingpin ne se contente pas de s’approprier une interview de Beth Gibbons sur le morceau qui porte son nom : il réinvente le son de Portishead. Il s’efforce d’en reproduire la mélancolie profonde. Il propose la même musique tantôt abyssale, tantôt évaporée, usant de sons soul ou jazzy, de noires envolées de violons synthétique comme sur « The Intruders ». Ses guitares, sur « A Killer’s Quench » et « Dark Mourning », pourraient tout aussi bien être celles d’Adrian Utley. Et même quand Hus Kingpin s’aventure sur d’autres territoires, quand il invoque le Kool Keith de Dr. Octagon sur un titre à son nom, il ne s’éloigne pas tant que cela du sujet.

Et le résultat se montre à la hauteur, sur « Belly », avec la rappeuse de Cleveland Rain AKA Black Widow, sur l’aérien « The Gram Tape », le poisseux « The Atticus Play », le ténébreux « Shooters Harmony » et le scintillant « Sunkist, Pt. 2 ». Cependant, celui qui estime être le second rappeur le plus « wavy » (jamais trop compris ce que ce terme signifiait, mais qu’importe…) après Max B, livre cet hommage tout en délivrant un rap des bas-fonds abrupt dans la tradition new-yorkaise, s’appuyant même parfois sur de vieilles gloires de l’underground des années 90, telles que Breeze Brewin et Vinnie Paz, en plus de nombreux autres acolytes comme Ransom et Willie the Kid. Et au bout du compte, ultime démonstration de la parenté entre Portishead et cette école de rap, tout cela rappelle fort le style Roc Marciano, sans que ce dernier ne se revendique un seul instant du groupe anglais.

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The Notorious S.Y.L.V.

The Notorious S.Y.L.V., a.k.a. Codotusylv, écrit sur le rap et tout un tas d'autres choses depuis la fin des années 90. Il fut le fondateur des sites culte Nu Skool et Hip-Hop Section, et un membre historique du webzine POPnews. Il a écrit quatre livres sur le rap (dont deux réédités en version enrichie), chez Le Mot et le Reste.

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