EPIC – Local Only

Epic, c’est une voix suave, un phrasé débonnaire, avec des mots qui sentent la fausse ingénuité, l’ironie douce, une dérision gentille. C’est aussi, avec son attitude timorée et ses cheveux blancs, un look inconcevable pour un rappeur normal. Le Canadien, qui n’est pourtant alors si vieux qu’il en a l’air, ne manque d’ailleurs pas de s’amuser de son apparence et de son âge, à plusieurs reprises (« Old Guys Are Ready To Rock The Mic », « Middle Aged White MC »).
Sans cesse, avec adresse, celui dont le vrai nom est Robert Carroll exploite le contraste entre son personnage de fonctionnaire rangé et presque quadragénaire, et son amour sincère pour le hip-hop (« My Briefcase Is A Weapon »). Ce décalage est l’essence même de son album, sa saveur. Il se livre ici à un beatboxing improbable (« Where’s The Cypher »), il donne ailleurs dans un style battle irréel (« Bring The Heat ») et il recycle partout les rengaines viriles du rap (« peace party people ah ah see you later », « do you know who the fuck I am », etc…). Il le fait mollement, sans trop y croire, sans que l’on ne sache jamais si c’est de l’hommage ou de sarcasme. Un peu des deux, probablement…
Qu’ils soient signés par Maki, par Muneshine de Lightheaded ou par son producteur habituel, Soso, par ailleurs le patron de son label, les beats portent tous la même marque : ils sont très dépouillés, presque cliniques. Un timbre, une boucle, une rythmique, voilà à quoi se résument la plupart des instrumentations, par ailleurs limitées à la sainte trinité piano, guitare, et bidouilleries électroniques. Et cela se révèle suffisant, largement. C’est même souvent excellent, tant Soso, dont les beats sont ici les meilleurs, maîtrise son affaire. Sûr de son fait, celui-ci s’autorise même un petit solo de piano sur une dixième plage sans titre, un solo joli comme tout, voire carrément splendide.
C’est là l’un des rares moments, avec les contributions ponctuelles de Soso, Conspiracy, Pip Skid, Micill Write de Frek Sho au micro, où quelqu’un vole la vedette à Epic. Tout le reste est réservé à son rap narquois mais adroit. « Mon argot, je le tiens de mon grand-père, pas de Kardinal Offishal », proclame le rappeur sur « It Ain’t Easy », résumant ainsi sa philosophie : ne pas se prétendre un autre, tirer profit de son identité contraire aux canons du rap pour livrer son album à lui. Et tant pis si cela signifie qu’il restera « local only », et qu’il peinera à se faire entendre au-delà de Saskatoon.