THREE 6 MAFIA – When The Smoke Clears: Sixty 6, Sixty 1

THREE 6 MAFIA – When The Smoke Clears: Sixty 6, Sixty 1

A les réécouter un à un, un jugement s’impose, définitif : tous les albums de Three 6 Mafia sont bien. Tous ceux qui s’échelonnent du séminal Mystic Stylez en 1995 au triomphal Most Known Unknown en 2005. Tous ceux de cette période au cours de laquelle le groupe de Memphis, d’abord perçu comme une pâle copie sudiste de Bone Thugs-N-Harmony, est devenu une référence oscarisée du rap.

When The Smoke Clears: Sixty 6, Sixty 1, ne fait pas exception. Sorti au beau milieu de ces dix années, il marque l’évolution progressive du groupe vers le grand public. Le disque sort chez Loud Records, grosse écurie du rap à l’époque, la production est plus maîtrisée, et les invités (UGK, Insane Clown Posse, Twiztid, Big Gipp de Goodie Mob, Mr. Serv-On et Fiend de No Limit), plus connus, viennent d’un peu partout aux Etats-Unis. Résultat : cet opus atteint la sixième place du Billboard, et il est disque de platine. When The Smoke Clears est aussi le dernier album de Three 6 Mafia dans sa configuration historique, avant que Gangsta Boo et Koopsta Knicca ne mettent les voiles.

Ses débuts sentencieux ont beau citer des versets de la Bible, c’est comme d’habitude la parole du démon que l’on entend sur cet album. Dès le début, la musique est macabre (« 44 Killers ») et les provocations sont les plus excessives : hymnes de gang incroyablement barbares (« Mafia Niggaz », « Just Another Crazy Click », « Put Ya Signs ») avec menace de mort et de viol à l’appui (« Fuck Y’all Hoes »), obsession pour l’argent mal acquis (« Where Da Cheese At »), sexe abrupt abordé avec la même concupiscence par les rappeurs et la rappeuse (« From Da Back », « Tongue Ring »), ode à la weed (« I’m So Hi »), et enfin, apologie de toutes les drogues, sur « Take A Bump » ainsi que sur le morceau le plus connu et le plus emblématique de l’album, « Sippin’ On Some Syrup », avec UGK.

Le thème majeur, c’est la violence de gang. Ici, ce rituel du rap qu’est le diss track est carabiné, l’agressivité constante (« Weak Ass Bitch », « Just Like Us », « Barrin’ You Bitches », la redoutable alliance Hypnotize Minds / No Limit « Touched Wit it », le single « Who Run It »), et agrémentée d’images d’Armageddon, un lointain miroir des quartiers les plus chauds de Memphis, ceux-là même dont, prétend-on, il nous est impossible d’imaginer la réalité (« Whatcha Know »), ceux que toute la famille étendue d’Hypnotize Minds célèbre par un posse cut haut en couleur (« M.E.M.P.H.I.S. »).

C’est sans verser la moindre goutte d’eau dans leur vinasse, que la Three 6 Mafia parvient alors à conquérir un large public. Et si la musique devient plus propre, elle reste fidèle à elle-même quand elle mélange les motifs répétitifs typiques de Memphis (« Where Da Cheese At ») ou quelques samples de Black Music traditionnelle à de la musique horrifique, celle de du film Creepshow par exemple, sur « Mafia Niggaz », avec ce sample génial que Juicy J réemploiera dix ans après sur « Get Me Some Money ». Cela tourne à plein régime, les temps morts sont rares, malgré la longue durée de l’ensemble. Et ils seront nombreux, une génération plus tard, à rester fascinés par cette formule.

Il y a quelques temps, dans le cadre d’un article rétrospectif rédigé pour les vingt ans de When The Smoke Clears, le site Passion of the Weiss notait à quel point il aurait été peu crédible, en cette année 2000 qui a marqué l’apogée du rap de backpacker, de prophétiser que l’album récent le plus influent sur les générations futures serait celui-ci. Et pourtant, nous y sommes. Cela a bel et bien été le cas.

Vive le futur. Il nous réserve toujours d’incroyables et de délectables surprises.

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The Notorious S.Y.L.V.

The Notorious S.Y.L.V., a.k.a. Codotusylv, écrit sur le rap et tout un tas d'autres choses depuis la fin des années 90. Il fut le fondateur des sites culte Nu Skool et Hip-Hop Section, et un membre historique du webzine POPnews. Il a écrit quatre livres sur le rap (dont deux réédités en version enrichie), chez Le Mot et le Reste.

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