STEFAN PLATTEAU – Meijo
 
					Avec Meijo, troisième tome des Sentiers des astres, Stefan Platteau continue de nous conter plusieurs histoires en parallèle, sur le mode des Contes de Canterbury. La principale nous parle d’un groupe d’aventuriers parti à la recherche d’un oracle légendaire à travers une dangereuse forêt boréale. Mais dans le même temps chacun de ses membres, à tour de rôle, retrace son parcours, présentant à chaque fois un autre pan de l’univers imaginé par l’écrivain belge. Tout à tour ils se révèlent, sous un jour ambigu, avouant à leurs compagnons les secrets troubles qui les ont conduits dans leur expédition nordique, éclairant cette dernière d’une nouvelle perspective.
Dans le livre précédent, Shakti, le personnage éponyme racontait les raisons de sa déchéance. On comprenait comment cette jeune princesse d’une île nordique était devenue une prostituée, à mesure qu’elle relatait à ses compagnons de voyage sa rencontre funeste avec Meijo, son amant. C’est à présent sous le nom de ce dernier qu’elle poursuit ce récit, et que celui-ci s’anime. Cette fois, dans cette suite, la jeune femme a quitté son île d’origine. Désormais mère, elle prolonge ses errances (et ses erreurs) dans cette partie du monde appelée L’Héritage. Lesquelles vont la mener bien bas.
Comme toujours avec Platteau, un vrai littérateur qui aime installer des ambiances, qui prend le temps de décrire chaque recoin de son univers et qui recherche constamment le mot rare, c’est un récit lent et étiré que poursuit la narratrice, comme s’en plaint même l’un des personnages :
Et plus vous contez, et moins les choses sont claires pour moi. Ma Dame, on ne peut pas dire que vous preniez des raccourcis dans le récit ! (p. 448)
Cependant, à l’approche de son dénouement, l’histoire de Shakti s’accélère. Elle fait la lumière sur la personnalité de la dame, mais aussi, et surtout, sur celle de son amant. Meijo, en effet, apparait de plus en plus pour ce qu’il est : un goujat et un manipulateur, prêt à toutes les bassesses. Le livre décrit habilement l’impuissance d’une femme dans un monde médiéval violent, et le mécanisme par lequel un compagnon peut se transformer en souteneur, comment une histoire d’amour entre deux ingénus peut aboutir à une relation toxique et déséquilibrée. Néanmoins, elle le fait sans en donner une image unilatérale et uniformément noire : la servitude de Shakti est aussi volontaire que subie, la complicité entre les deux amants est parfois réelle, les manigances de Meijo ne sont pas nécessairement dépourvues de sentiments.
Le récit de Shakti, donc, s’anime. Et l’intrigue principale elle aussi. Alors que, dans le livre précédent, d’haletantes premières pages exceptées, le récit était devenu statique, nos amis profitant d’un refuge temporaire chez le peuple des Teules, la course-poursuite avec leurs ennemis reprend désormais de plus belle. Avec elle, les personnages s’enfoncent toujours plus loin dans leur forêt, ils se perdent dans des grottes et s’égarent dans des marécages. Ils empruntent même des chemins de traverse, ces sentiers des astres qui donnent leur nom à la série, et ils basculent dans un autre monde, l’outre-songe, où ils vont être confrontés à l’éléphant que l’on contemple sur la couverture de l’édition de poche (laquelle, tout comme les précédentes, retranscrit admirablement l’atmosphère du récit).
Dans cette partie du récit, l’action revient. Il y a du grabuge, des combats, des dégâts, et tout un bestiaire pittoresque (des chauves-souris chamanes, des brochets maléfiques, un poix-poisson…) entre en branle. Il y a une confrontation directe avec les nendous, ces quasi-divinités puissantes, malfaisantes et repoussantes, qui ressemblent à s’y méprendre aux Grands Anciens de Lovecraft. L’ouvrage s’achève par l’apothéose qui manquait au précédent, ce qui confirme que les deux livres formaient au bout du compte qu’une seule histoire, qu’ils étaient un seul et même ouvrage découpé artificiellement en deux tomes, par choix éditorial ou commercial, sans doute. Et qu’après lui, il sera temps pour un autre protagoniste de faire toute la lumière sur son trouble passé.
On a hâte de savoir lequel. Certes, ils sont longs ces Sentiers des astres. Ils n’en finissent pas. On n’en voit pas encore le bout, loin s’en faut. Et sur une bonne portion, on se borne souvent à admirer béatement le paysage. Mais pour le moment, on est encore loin de vouloir les quitter.
PS : ah juste une chose, il était irritant de voir l’un des personnages qualifié à tout bout de champ de « vieil hibou ». On dit plutôt « vieux hibou », non ?
 
			 
			 
			 
			 
			