STE STRAUSZ – Sté real
Le rap français a longtemps eu les yeux rivés sur New-York. C’est là qu’il a puisé ses influences. Cela a été, avec la tradition locale de la chanson, sa grande terre nourricière. La Californie, cependant, a aussi eu ses adeptes : le g-funk a fait des émules de ce côté-ci de l’Atlantique, et le Val de Marne a été leur base. C’est là qu’est apparue la grande figure du son West Coast à la française, Aelpéacha. Et c’est aussi de ce département qu’est venu un pionnier, ou plus exactement une pionnière.
Guadeloupéenne d’origine née à Vitry-sur-Seine, Stéphanie Quinol apparait dans le sillage d’un des groupes historiques du rap français, les Little (elle doit son pseudonyme à l’un de ses membres, Sulee B Wax, qui la présente comme « la femme bonne en Levi-Strauss »), et dès l’âge de seize ou dix-sept ans, en 1994, elle sort un EP qui adapte cette recette à notre langue, avec une certaine réussite.
Ayant grandi dans la musique (son père est DJ, et son cousin, David Bordey, est rappeur au sein de la Mafia Underground), tombée dans le hip-hop dans les années 80, Sté Strausz a parfois proclamé son allégeance au rap américain plutôt qu’à sa déclinaison française. Et cela s’entend sur Sté real. Cette sortie de sept titres sonne plus californienne que nature. Les sirènes, les guitares funky, les basses rondes et souples, les compositions cinématiques, les synthétiseurs mélodiques : tous les grands attributs du g-funk et de la West Coast sont présents. Des morceaux comme « Met Play (G Mix) », « Yo Boom ! » et « Née gangsta » ont même une efficacité identique à leurs modèles américains. Et pour parfaire la formule, la rappeuse s’exprime d’une voix crâne, avec l’assurance d’une gangster.
Néanmoins, cela demeure du rap français. Le ton a beau être agressif et le vocabulaire parfois fleuri, on est loin des outrances immorales des Californiens. La plupart des morceaux se résument à de bons vieux ego-trips et à une défense du « vrai hip-hop », comme le suggère le titre même du projet. Sur « Trop dur pour un seul homme », Sté Strausz affirme aussi son identité de femme, mettant un point d’honneur à ne surtout pas être confondue avec une « byatch ». Et même le morceau intitulé « Née gangsta », où elle dit avoir grandi dans un milieu propice au crime, s’achève par un message moral : même si l’on est conditionné à être un mauvais garçon (ou plus exactement une mauvaise fille), il faut mieux s’adonner à la musique qu’à la délinquance, et trouver des moyens plus honnête de s’enrichir.
Avec ce projet, Sté Strausz réussit son entrée dans le monde du rap. A sa suite, elle gagne sa place sur la B.O. de La Haine, ainsi que sur les compilations Génération Rap et Hostile Hip Hop. Et en 1998, elle sort un premier album, Ma Génération. Par la suite, la maternité et un emploi « normal » l’éloigneront quelque peu, mais elle ne disparaitra jamais tout à fait. En 2010, elle sera même la co-autrice de Fly Girls, un livre sur les femmes du hip-hop français. Ce Sté real très américain demeure cependant le grand moment de sa carrière, tout rempli qu’il est d’une effronterie et d’une énergie juvéniles.