ROBERT JORDAN – New Spring (Nouveau printemps)
Le but d’une préquelle est de raconter les origines d’une histoire déjà connue, d’en révéler les fondations. Par définition, elle s’adresse à ceux qui connaissent déjà les événements d’après. C’est le cas de la plus célèbre d’entre elles, la deuxième trilogie Star Wars. Aujourd’hui qu’on peut accéder à n’importe lequel des épisodes de la saga, il vaut toujours mieux les découvrir dans leur ordre de conception, plutôt que dans l’ordre chronologique de l’intrigue. En toute logique, il devrait en être de même avec New Spring, ce roman plutôt court, comparé aux pavés très fournis rédigés par Jordan, et qui relate la rencontre entre al’Lan Mandragoran et Moiraine Damodred, vingt ans avant l’histoire.
A le lire, pourtant, on a l’impression que l’auteur l’a écrit pour les néophytes, qu’il a voulu en faire le véritable début de son histoire (tout comme la maison d’édition française Bragelonne, qui a entamé par ce volume rédigé sur le tard sa nouvelle traduction de La roue du temps). Ainsi, au risque d’alourdir le récit, l’auteur raconte-t-il dans les moindres détails et via de longues descriptions qui sont les Aiel ou les Aes Sedai, qu’est-ce que le Royaume de Malkier et le Daes Dae’mar, comment fonctionne le système de magie, et maintes autres choses connues des inconditionnels de la saga.
Plus compact que les autres, il est aussi plus abordable, moins touffu, plus simple à lire. Mais il n’a pas le souffle épique et le suspens des tout premiers. Plus anodin, plus banal, il est douteux que le nouveau-venu y trouve son compte. En lui donnant d’emblée des clés aux mystères de la saga, il le privera d’une bonne part du plaisir de lecture quand il abordera les autres livres. Il vaut mieux, quand on lit The Eye Of The World, ignorer qui sont Moiraine et Lan, et ne pas savoir grand-chose non plus de leurs desseins, de l’Ajah Noire, ou de la prévision de Gitara à propos du Dragon Réincarné.
C’est pour les aficionados, que ce roman est gratifiant. Les présentant dans leur jeunesse, il complète le portrait de trois personnages majeurs de l’histoire : Moiraine et Lan, donc, mais aussi Siuan Sanche. Le roi déchu, bien qu’encore jeune, n’est pas fondamentalement différent de celui qu’il sera vingt années plus tard : il est dur, impassible, dépressif et travaillé par des tendances suicidaires. Les deux Aes Sedai, en revanche, se montrent plus juvéniles, naïves et insouciantes que les femmes graves et fortes qu’elles deviendront. New Spring, a bien des égards, est d’abord le récit de leur entrée dans l’âge adulte, de la perte de leur innocence, il est un roman d’apprentissage.
Le début du livre les cueille au beau milieu de la Tour Blanche, alors qu’elles ne sont encore qu’Acceptées, qu’elles attendent le jour où elles seront pleinement Aes Sedai, et qu’elles sont les meilleures amies du monde. Elles se montrent alors facétieuses, Moiraine ayant une attitude plutôt puérile lors de sa première rencontre avec Lan. Cependant, la révélation de la naissance du Dragon Réincarnée, leur élévation au rang d’Aes Sedai, les manœuvres de la Tour Blanche pour mettre Moiraine sur le trône vacant du royaume de Cairhien, la découverte du monde extérieur et, in fine, celle de l’existence et des projets de l’Ajah Noire, vont progressivement les forger.
L’intérêt de ce roman, c’est de compléter les connaissances du lecteur sur le monde développé par Jordan. Il apprend, par exemple, en quoi consiste le rite de passage au statut d’Aes Sedai (présenté aussi dans Towers Of Midnight, mais à la date de parution de New Spring, ce volume n’était pas encore paru). Il présente en détail un royaume (Kandor), son gouvernement et sa capitale montagnarde (Chachin), dont il est peu question dans les autres volumes. On en apprend un peu plus sur les mœurs et les rites des Malkieri, ce peuple perdu dont Lan est le roi sans couronne.
L’autre atout de New Spring, c’est, malgré un début lent (et, comme toujours, ces interminables descriptions de vêtements), d’avoir tout de même moins de longueurs que les volumes « normaux » de la série. L’intrigue y est, toutes proportions gardées, plus légère, plus rapide, plus élancée. Il en est presque regrettable que l’auteur n’ait pu livrer les autres préquelles qu’il avait en tête, l’une portant sur la suite des aventures de Lan et de Moiraine, l’autre sur celles de Tam al’Thor avant qu’il ne recueille Rand. D’autres préquelles encore auraient pu s’avérer captivantes, une relatant le passé trouble de Verin Mathwin par exemple, ou une autre, racontant l’histoire des parents biologiques de Rand. Cependant, à l’inverse, on aurait souhaité aussi que Jordan ne perde pas son temps avec de tels projets annexes, et qu’il ait pu accélérer l’achèvement de la saga avant que la mort ne le fauche.
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