ROBERT JORDAN & BRANDON SANDERSON – The Gathering Storm (La tempête imminente)

Un mal pour un bien. Voilà comment, avec un cynisme digne du Rand al’Thor cruel et froid mis en scène dans The Gathering Storm, les aficionados du colossal cycle de La roue du temps pourraient considérer le décès de son géniteur, Robert Jordan. Car ce tome sorti moins de deux ans après sa mort, le premier rédigé par un autre, a le mérite de redonner du rythme à une histoire qui s’enlisait profondément dans ses épisodes les plus récents.
Pour être tout à fait honnête, ce regain avait commencé dès le livre précédent, Knife Of Dreams, le dernier rédigé par Robert Jordan. Brandon Sanderson, l’homme choisi par sa veuve pour achever son œuvre, ne fait que poursuivre sur la lancée : il précipite les événements et il fait se dénouer les intrigues. Cette accélération n’est d’ailleurs que logique, maintenant que la saga approche de sa fin. Ce livre, en effet, aurait dû être le dernier. Il n’a été coupé en trois que parce qu’il allait être trop épais (plus de deux mille pages) ; à moins que ce ne soit l’éditeur qui ait voulu préserver plus longtemps sa vache à lait.
Alors que le volume précédent avait fini par clore les trop longues aventures d’Elayne, de Perrin et de Mat, cet autre en fait autant avec celles d’Egwene. Enfin, l’interminable conflit entre factions Aes Sedai se termine, et quelques événements annoncés par le passé surviennent, comme l’attaque de la Tour Blanche par les Seanchan. La longue et difficile quête de légitimité entreprise par la jeune Amyrlin fait d’ailleurs l’objet d’une bonne moitié du volume, et elle est riche en péripéties, en révélations et en scènes d’action grandioses, comme n’en a plus connues La roue du temps depuis ses premiers tomes.
Désormais, quelque chose d’important se passe dans chaque chapitre. Ceux-ci, plutôt courts, se succèdent à un rythme effréné, et se présentent presque toujours comme des petites histoires en tant que telles. Cela devient d’autant plus exaltant, que le récit se recentre sur son héros principal, Rand al’Thor. Le Dragon Réincarné, désormais mutilé, affronte à nouveau des Forsaken en série, il tombe dans le piège tendu par le Dark One, il s’enfonce dans la noirceur et la tyrannie, et il finit par entrevoir le chemin de la rédemption. Là encore, surviennent des événements promis depuis longtemps, comme les pourparlers avec Tuon et les Seanchan, et quelques mystères sont révélés, comme la nature du rapport de Rand à Lews Therin.
On ne voit pas passer ces huit cents pages. Cela va vite, c’est haletant, tout se succède et se dénoue brusquement. A tel point qu’on pourrait reprocher à Sanderson de préférer le spectaculaire à la subtilité. Quelques actions sont déraisonnablement rapides, par exemple la manière avec laquelle Rand gagne à sa cause le grand capitaine Rodel Ituralde. Et quelques épisodes superflus servent davantage à apporter de l’action qu’à faire avancer l’histoire, comme cette aventure façon Nuit des morts vivants que vit Mat sur deux ou trois chapitres. Les chemins choisis par le successeur de Jordan pour avancer l’intrigue sont parfois trop directs, ils sont moins sinueux. L’auteur d’origine nous emmenait dans de longues randonnées en montagne : à chaque fois qu’on pensait le sommet proche, il nous faisait faire inopinément un détour par un sentier tortueux. Avec Sanderson, au contraire, on prend le téléphérique.
Le nouvel auteur n’a pourtant pas trahi le premier, loin de là. Il s’est, d’après ses dires, servi de ses notes et brouillons pour bâtir ce nouveau volume. Et il n’y a aucune raison d’en douter. Le plan vicieux du Dark One ou le replacement de Tam al’Thor au cœur de l’intrigue, par exemple, ressemblent à du Jordan pur jus. Sanderson s’est aussi efforcé d’imiter le style de son prédécesseur. Il utilise avec succès ses techniques narratives, notamment ces constants monologues intérieurs, qu’il a le mérite de dépouiller de ces considérations sur les différences entre les sexes ou la profondeur des décolletés, des propos qui alourdissaient autrefois le récit, voire qui frisaient le ridicule.
Hormis cette accélération subite de l’intrigue, qui passe par l’élimination de personnages encombrants (dès le prologue, exit le Prophète), l’univers et l’ambiance restent ceux de Jordan. Sanderson arrime solidement son récit à ceux qui l’ont précédé. Pour cela, il montre des personnages en train de se remémorer leurs aventures passées. Ce sont d’abord Mat et Thom qui se souviennent ensemble du temps où ils naviguaient sur le bateau de Domon. Puis Rand et Nynaeve reviennent sur l’affrontement dantesque qui avait opposé le premier au Seanchan, à Falme. L’auteur réinsère même ce bon vieux Hurin dans l’intrigue, lequel avait disparu au tout début du troisième tome.
The Gathering Storm, donc, est le travail chiadé d’un auteur respectueux des œuvres qui l’ont précédé, et qui ne se laisse pas facilement prendre à défaut (quoique, on se demande pourquoi le pouvoir de Compulsion est déclaré ici inguérissable, alors que la reine Morgase semble s’en être bien remise dans les livres précédents). Ajouté à cela son côté de plus en plus haletant, à mesure qu’on sent venir le dénouement, et l’on confirme que l’éditeur et la femme de Robert Jordan ne se sont pas trompés en confiant à ce tiers ce monstre littéraire qu’est La roue du temps.
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