PUSHA T – It’s Almost Dry
On nous l’avait promise depuis longtemps, la grande œuvre de Pusha T en solo. Cependant, malgré l’espoir placé dans ses albums d’il y a dix ans, ou bien dans les mixtapes Fear Of God et Wrath Of Caine, le compte n’y était pas. C’est vrai, on avait cru s’en approcher avec la frénésie critique autour de Daytona, il y a quatre ans déjà. Mais au bout du compte, il s’agissait là encore d’une sortie imparfaite, malgré son format resserré et quelques titres détonants. Alors que là, avec ce projet court mais gros calibre qu’est It’s Almost Dry, c’est le feu. D’un bout à l’autre ou presque.
Cet album, pourtant, c’est ce que Pusha T a toujours délivré : du coke rap. Le titre, « c’est presque sec », est une phrase de dealer, et la cocaïne est au centre du propos. Elle est un prétexte pour jongler avec les mots, pour jouer de double ou triple sens. Elle est une source intarissable de métaphores pour traiter de tout un tas de thèmes, du parcours de Pusha T, de sa vie ou de l’adversité. Mais cette fois, le rappeur tire plus de profit que jamais des deux producteurs stars qui ont accompagné sa carrière.
Kanye West, un homme dont Pusha-T est si proche qu’il a fini par présider son label, se démène, par exemple quand il emploie, sur « Just So You Remember », le même sample de Colonel Bagshot que celui magnifié il y a déjà longtemps par DJ Shadow. Mais l’autre producteur, celui qui était là quand Clipse était présenté comme le groupe de rap attitré des Neptunes, est tout aussi décisif. Pharrell Williams est très inspiré, quand il joue de répétitions comme de variations impromptues sur « Let The Smokers Shine The Coupes », ou quand il confirne à la musique l’expérimentale sur « Call My Bluff ».
It’s Almost Dry a la même urgence que les œuvres passées de Pusha T. Le quadragénaire ne s’est pas encore assagi. Néanmoins, le temps n’a pas épargné celui qui vient de perdre ses parents et de devenir père à son tour. Le poids des ans se fait sentir, à travers une fibre nostalgique. La présence des deux comparses historiques du rappeur le signifie : souvent conjugué au passé, l’album prend la forme d’un bilan.
Tel est le cas quand le rappeur règle ses comptes avec son ancien manager Anthony Gonzales, sur un « Brambleton » dont le titre évoque leurs bases en Virginie. Ou quand, avec « Neck & Wrist », il se livre avec Jay-Z sur leurs carrières fastes, sans que l’on sache s’il s’agit de celles de rappeurs, ou de dealers. Pusha T montre qu’il a vécu. Par exemple, sur le superbe et glauque « Open Air », il raconte ses débuts dans la drogue. Il y a même un morceau dont le titre, explicite, est « Dreaming Of The Past », avec un sample de soul à l’ancienne venu de la reprise par Donny Hathaway de « Jealous Guy ».
Quand il produit de tels sons, quand il revient au chipmunk soul de ses débuts sur « Diet Coke » et sur « Rock N Roll », Kanye West a lui aussi le regard vissé sur le rétroviseur. Et Pharrell également, qui semble revenir au coeur des années 90, avant même ses débuts, avec des sons plus rudes et plus chiches que ceux des Neptunes, ou quand il délivre un « Let The Smokers Shine The Coupes » très inspiré par l’immense « Glaciers Of Ice » de Raekwon. Et sur le single « Diet Coke » on trouve même un beat de 88-Keys vieux de vingt ans, avec des scratches à l’ancienne.
« It’s back to the basics », Pusha T déclame-t-il au début du très bon « Rock N Roll », célébrant sa vieille relation avec Kanye West. Et comme pour mieux boucler la boucle, il clôt l’album par une collaboration avec son frère et ancien complice. Le dernier volet de l’album est en effet « I Pray For You », un excellent titre boosté à l’orgue et aux chants grégoriens, empreint de la religiosité de son producteur comme de son invité, No Malice, redevenu pour l’occasion Malice. Pendant un temps, Clipse est donc de retour. Et c’est pour ça que cet album est si percutant : c’est parce qu’il est familier. C’est pour cela qu’il pourrait devenir, après des années de promesse, au terme de tout ce temps écoulé depuis la fin du duo, le vrai classique de la carrière solo de Pusha T.
