NO ID & SABA – From The Private Collection Of Saba And No ID

Ces deux-là étaient faits pour œuvrer ensemble. Une génération les sépare, mais Saba et No ID sont tous les deux de Chicago et ils représentent l’un comme l’autre la face propre du rap de leur ville. L’artistique. L’adulte. La jazzy. Leur première rencontre, à la fin des années 2010, n’a pas tout de suite abouti. Le jeune n’a alors pas rejoint Capitol, le label codirigé par le vétéran. Néanmoins, ils se sont trouvés. Le producteur a envoyé après de nombreux sons au rappeur. Et ce qui devait être une mixtape a fini par devenir un vrai album, qui plus est l’un des plus célébrés en cette année 2025.
Par son aspect aléatoire et disparate, From The Private Collection of Saba and No ID porte encore des traces de ce projet de mixtape. Ses plages sont dissemblables. Chacune est une vignette distincte des autres, avec sa coloration. C’est une collection privée, en effet, que Saba et No ID nous invitent à visiter. Un morceau avec de vieux samples soulful, puis une mélodie remplie de chants délicats (le beau refrain de « Crash ») ou une instru franchement jazz (« 30secchop »), accompagnent des titres dépouillés (« Breakdown », « head.rap », « Acts 1.5 »), ou d’autres, évanescents (« Woes Of The World »). Des morceaux sont longs et construits, quand d’autres ont des airs d’interludes (« Stop Playing With Me »). Quant aux raps, ils peuvent être tout aussi raides et directs, que chantonnés.
Et il n’y a pas vraiment de fil conducteur. Le rappeur partage ses pensées comme elles viennent. Il parle de sa carrière (« Every Painting Has A Price ») et de son image publique (« BIG PICTURE »). Il évoque ses relations amoureuses (« Breakdown », « Crash »), sa ville de Chicago (« Westside Bound Pt. 4 »), ses cheveux crépus d’Afro-Américain (« head.rap ») et les attentes de Dieu à son égard (« How To Impress God »). Pour faire bonne mesure, il ajoute à tout cela un soupçon d’égo-trip (« Acts 1.5 »). Et puis, à l’occasion, il s’efface laissant à d’autres le soin de s’exprimer (« Reciprocity »).
Le produit fini est composite. Néanmoins, il est bien loin du projet de départ, une collection de beats envoyés par No ID à Saba pour qu’il pose dessus. C’est au contraire un album travaillé. C’est un vrai grand projet, rempli d’une jolie musique qui va bien au-delà du rap, une œuvre collective avec tout un tas d’invités, des gens du Pivot Gang de Saba, mais aussi d’autres tels que Kelly Rowland, Raphael Saadiq, Smino, BJ the Chicago Kid, Jean Deaux et les jumelles franco-cubaines d’Ibeyi. Saba et No ID font entrer beaucoup de sons, de textes et de gens sur ces quarante petites minutes. Et puis aussi quelques moments formidables, comme ce « How To Impress God » qui en, plus du bon dieu, pourrait bien marquer pour la première fois ceux que Saba n’avait encore jamais impressionnés.