NIRVANA – MTV Unplugged In New York

NIRVANA – MTV Unplugged In New York

Dans les années 90, c’est une sorte de rituel. Les grands groupes de cette décennie gourmande en musique à haut volume doivent, à un moment ou à un autre de leur carrière, la mettre en sourdine. Ils doivent délaisser le bruit et l’électricité pour s’adonner aux joies de l’acoustique. Tel est le principe des sessions Unplugged de MTV. En règle générale, malheureusement, le résultat n’est pas fameux… Dépourvus de leur habituel décorum rock’n’roll et du paravent des décibels, la plupart se montrent creux, et cachent leur insignifiance derrière une attitude cliché et affectée. Au bout du compte, peu de vrais bons disques ont été issus de cet grand-messe convenue.

Parmi ces oiseaux rares, figure celui du plus grand groupe de ces années-là. A cette supériorité, plusieurs raisons. D’abord, tout bêtement, le fait que Nirvana dépasse d’une bonne tête la plupart des groupes grand public de l’époque, point, indépendamment de cet exercice acoustique surfait. Ensuite, parce qu’à la lettre de l‘unplugged, ils ont préféré l’esprit. Ils n’ont pas complètement renoncé à l’électricité, le son reste amplifié, mais ils ont joué pour de bon la carte intimiste, en parsemant la scène de fleurs et de chandelles, en convoquant une violoncelliste, ou en laissant à Krist Novoselic le soin d’entamer un bref petit air d’accordéon sur « Jesus Doesn’t Want Me For A Sunbeam ». Enfin, surtout, ils ne se sont pas contentés de rejouer leurs tubes en versions dégradées.

Non, tout au contraire. Contre l’avis de MTV, Kurt Cobain et les siens privilégient alors des morceaux moins connus de leur répertoire. C’est le cas avec « About A Girl », le titre issu du sale et abrasif Bleach qui ouvre les débats (« most people don’t know it », renchérit le chanteur). « Come As You Are » est le seul single que le groupe consent à jouer ce jour. Qui plus est, une moitié du set est constitué de reprises, la plupart de groupes moins notoires qu’eux. De fait, sans le savoir encore, ils enregistrent alors un véritable album, neuf, original, plutôt qu’un best-of tristounet, comme pour la plupart des autres unplugged.

Et pour une fois, l’exercice fonctionne. Cet unplugged dévoile un vrai bon groupe, dont les chansons demeurent solides, même débarrassées du tintamarre dont elles sont habituellement parées, même sans le ramdam rock’n’roll engendré par l’incommensurable succès de Nirvana. Elles sont le fait d’un homme habité, luttant avec sa vie comme avec ses chansons, sortant ses tripes comme jamais le temps d’une reprise déchirante du « Where Did You Sleep Last Night? » de Leadbelly, quelques mois seulement avant de se donner la mort. Et tout ça sans exagération, sans mise en scène, juste parce que c’est vrai, parce que ce type talentueux se sent alors vraiment très, très mal.

Tout ça est su, de même que l’inconfort de Cobain avec son statut de rock star. Le chanteur, notamment, a mauvaise conscience. Il se sent coupable d’avoir vendu ce qui s’appelle alors le « rock alternatif », d’en avoir récolté seul les fruits, d’avoir ouvert la voie à des pilleurs, d’avoir pris la place de ses modèles. Pourquoi lui, alors que d’autres méritent davantage son succès ?

Voilà pourquoi il invite les Meat Puppets sur le plateau de MTV. Il faut rétablir la justice, il faut que ceux qui ont inventé ce son, ces gens qu’il estime plus que lui-même, aient leur part de gâteau. Il faut, en reprenant trois de ses titres, attirer l’attention sur le deuxième album des Puppets, ce classique underground qui a réconcilié country et punk hardcore. Mieux, pour éviter de s’en faire attribuer la paternité, il faut convier Cris et Curt Kirkwood, qui tournent au même moment avec Nirvana, à prendre part à l’interprétation de leurs propres chansons.

Pour s’excuser d’être là, de ce succès qui est une injustice, ou une anomalie, il faut mettre en valeur ces chansons des Puppets, des Vaselines, de Leadbelly, et même un morceau méconnu de David Bowie. C’est dans ces passages-là que Cobain met le plus de cœur, ce sont ces titres, « Plateau », « Lake Of Fire », « The Man Who Sold The World » et cet époustouflant « Where Did You Sleep Last Night? », qui sont les plus impressionnants ici, plus que ceux de Nirvana eux-mêmes.

Cependant, cet MTV Unplugged In New York confirme que Nirvana n’est pas devenu immense par hasard. En l’extirpant de son registre habituel, il consacre la place du groupe au-delà de l’éphémère mouvement grunge, au-delà même du rock alternatif américain. Kurt Cobain n’a pas compris pourquoi il est devenu le messie du rock. Pour lui, c’est un malentendu,. Pourtant, avec ce disque sorti après sa mort et qui consacre jusqu’à l’écœurement le mythe Nirvana et la nature christique de son leader, d’autres gens, plus nombreux encore, se convertiront au culte de ce groupe.

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The Notorious S.Y.L.V.

The Notorious S.Y.L.V., a.k.a. Codotusylv, écrit sur le rap et tout un tas d'autres choses depuis la fin des années 90. Il fut le fondateur des sites culte Nu Skool et Hip-Hop Section, et un membre historique du webzine POPnews. Il a écrit quatre livres sur le rap (dont deux réédités en version enrichie), chez Le Mot et le Reste.

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