MR. TINIMAINE – 19-Tini-5

MR. TINIMAINE – 19-Tini-5

L’histoire est connue. Dans les années 2000, le succès de Three 6 Mafia étant probablement leur clé d’entrée vers cette scène, un public qui dépasse largement les limites de Memphis jette son dévolu sur les nombreuses cassettes qu’a produit le rap de la ville dans les années 90. Cette musique confidentielle devient alors plus accessible grâce à Internet, et des cohortes de revivalistes rarement liés à l’Etat du Tennessee, le Raider Klan par exemple, s’emploient à la réinventer. Dans la foulée, des œuvres oubliées refont surface, comme le 19-Tini-5 de Mr. Tinimaine, un homme dont on sait peu de chose, sinon qu’il est toujours en activité et qu’il se nommerait en réalité Tariano Brown.

Sortie en 1995, avec DJ Zirk à la production, existant aussi sous une forme amendée et sous le nom de Krept & I Kame, cette cassette passe au CD pour la première fois en 2009. Et puis en 2020, le label SIC Records la réédite, la rendant plus visible auprès de son public, les amateurs de phonk. Et il fait bien, car 19-Tini-5 est un bijou de cette époque fatidique. C’est une gemme brute, mal taillée, mal dégrossie, marquée par son aspect artisanal et lo-fi, à tel point que la musique en étouffe les raps. Les limites sonores de la cassette sont très perceptibles. Mais cela ne gâche rien, bien au contraire.

Les propos sont attendus : le sexisme est carabiné ; la violence est là, et elle va jusqu’au meurtre, et c’est l’animosité (« ana », en slang local) qui façonne le monde (« Ana Make Da World »). Le rappeur prend le parti du diable, le Malin s’est emparé de son âme et de ses sbires. Le titre « Voices N My Head » ne suggère rien d’autre. Mais rarement cette musique n’a si bien servi le message de Lucifer.

Les logorrhées provocatrices de Mr. Tinimaine se posent à un tempo rapide sur des instrumentaux qui, eux, sont inexorablement lents, posés et longs parfois de six minutes, et qui se dispensent même parfois de paroles, pendant de longs moments, concourant à installer une atmosphère sinistre et sépulcrale. Tout est là pour renforcer les paroles glaciales des rappeurs : des voix synthétiques d’outre-tombe, des nappes spectrales, des pianos crispants sur le mode du film d’horreur.

Le titre éponyme de l’album « 19 Tini 5 », est l’un des plus remarquables. Il est magistral, il est un modèle du genre. Celui qui nommera l’autre version de l’album, « Crept & I Came », le suit de près, de même que le finale languide de « Lay It Down ». Mais au-delà, c’est tout l’album que DJ Zirk et Mr. Tinimaine imprègnent avec maestria de cette ambiance mortifère. Quant au son étouffé et au mix approximatif, loin de gâcher la formule, ils suggèrent que cette musique vient pour de bon de très loin, qu’elle remonte d’un souterrain profond, qu’elle prend source dans les feux ardents de l’enfer.

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PS : merci au site d’à côté de m’avoir révélé l’existence de cet album, il y a quelques temps.

The Notorious S.Y.L.V.

The Notorious S.Y.L.V., a.k.a. Codotusylv, écrit sur le rap et tout un tas d'autres choses depuis la fin des années 90. Il fut le fondateur des sites culte Nu Skool et Hip-Hop Section, et un membre historique du webzine POPnews. Il a écrit quatre livres sur le rap (dont deux réédités en version enrichie), chez Le Mot et le Reste.

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