MARK LAWRENCE – Prince Of Thorns (Le prince écorché)

MARK LAWRENCE – Prince Of Thorns (Le prince écorché)
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Depuis une trentaine d’années, la fantasy s’escrime à s’affranchir du procès en manichéisme qu’on lui a souvent fait. Peu à peu, elle a opté pour un ton pessimiste et mis en scène des personnages ambigus, à même de recourir à la violence et de mettre leur conscience en sourdine. Les romans de Glen Cook, George R. R. Martin et Joe Abercrombie nous enseignent que le Bien et le Mal sont des notions relatives, que tout est affaire de perception. que l’angélisme ne mène à rien, que la complexité du monde oblige les meilleurs à accepter des compromis avec la morale. Mais rarement leurs héros (ou antihéros, selon), ont été franchement mauvais. Mark Lawrence, lui, a pourtant choisi de franchir cette ligne, et de faire du jeune prince Honorius Jorg Ancrath un personnage maléfique.

Le premier chapitre donne tout de suite le ton. On y voit une bande de brigands piller sans raison un village de paysans, massacrer tous ses habitants, éviscérer un vieil homme, puis violer et assassiner ses filles. Ambiance, ambiance… A la tête de cette joyeuse confrérie de ruffians, tous plus sales, bêtes et méchants les uns que les autres, un jeune homme irascible d’à peine quatorze ans. On apprendra plus tard que ce dernier est devenu le chef de ces brutes en se montrant encore plus sauvage, impitoyable et cruel qu’eux. Il a, par exemple, entre beaucoup d’autres méfaits dont tous ne sont pas détaillés, torturé gratuitement un évêque en lui enfonçant de longs clous dans la tête. Et, au fil de l’histoire qui nous est contée, il commettra bien pire encore. Abandon des siens, massacre de masse, et même cannibalisme, tout est bon pour le prince Jorg, qui nous expose ainsi sa philosophie :

There is no evil (…) There is the love of things, power, comfort, sex, and there’s what men are willing to do to satisfy those lusts (p. 212)

Le mal n’existe pas (…). Ce qu’il y a, c’est l’amour pour des choses, pour le pouvoir, le confort, le sexe, et ce que les gens sont prêts à faire pour satisfaire ces envies.

Cette exploration du Mal absolu est le principal attrait du premier volet de la trilogie du Broken Empire. Si on met de côté cet aspect, Prince Of Thorns raconte une histoire plutôt banale : celle d’un jeune prince dont on a massacré la famille, et qui, à l’aide de compagnons de fortune, cherche à se venger et à recouvrer le trône qui lui revient, et découvrir en route les forces obscures qui cherchent à contrôler son destin. On frôle même la fantasy de série Z avec le cadre qui nous est proposé : une Europe post-apocalyptique, retournée aux temps médiévaux, où la magie est présente et où des radiations nucléaires ont muté certains humains en créatures surnaturelles. Enfin, marque de notre époque (même les auteurs de fantasy les plus subtils, Abercrombie par exemple, y recourent), Mark Lawrence joue des thèmes conspirationnistes, mettant en scène un petit groupe de mages illuminatis qui jouent des rois comme de marionnettes et se disputent en coulisse la domination du monde.

Pas d’intrigue sensationnelle dans Prince Of Thorns. Pas de monde fouillé, ni de système de magie travaillé. Jorg Ancrath est la principale attraction de ce livre, qui nous offre par son biais une analyse du Diable. Le jeune prince est ce dernier, il est le Malin. Il refuse, au bord de la mort, la voie du pardon et de la rédemption qui lui est offerte par un ange. Ce dernier, tout comme un prêtre rencontré plus tôt dans l’histoire, le compare à Lucifer. Et Lucifer, nous dit Mark Lawrence, ne saurait être sain et équilibré : il est un psychopathe. Jorg peut être rationnel. Il pense vite et bien, il intrigue dans le but de s’emparer du pouvoir absolu. Mais il est instable, ses décisions sont intempestives. Il est guidé autant par ses envies et par ses instincts, que par ses calculs machiavéliques.

A l’origine du monstre qu’est Jorg Ancrath, il y a la douleur et la culpabilité. La douleur d’avoir vu, à neuf ans, sa mère violée puis tuée sous ses yeux, et son petit frère se faire éclater le crâne. Et la culpabilité de ne pas leur avoir porté secours, caché dans un buisson de bruyère, et retenu par ses épines. A cela, s’ajoute une autre blessure : la froideur d’un père qui refuse de venger ce terrible forfait, et qui reniera son fils. Après ces épisodes fondateurs, Jorg voudra faire le mal, plutôt le subir. Pour ne plus jamais souffrir autant que dans son buisson, il s’interdira l’amitié, il combattra l’attachement, par exemple celui qu’il a pour le Nuban, le seul Noir de sa bande de brigands, le seul à avoir une conscience. Il heurtera volontairement quiconque lui démontrera un début d’amitié. En réponse à sa lâcheté d’autrefois, il décidera aussi de ne plus avoir peur, et il ne se cachera plus de ses ennemis. Il affrontera le danger en face, avec une témérité qui désarçonne ses adversaires.

En nous relatant les méfaits de Jorg, avec la galerie de portraits de ses compagnons criminels, Prince Of Thorns ne nous parle pas seulement des actions du Malin. Il ne se contente pas de flatter nos bas instincts, ni de jouer sur la fascination naturelle que nous avons tous pour les grands méchants. Non, il va un peu plus loin que cela. Il nous décrit la naissance du Diable, il nous raconte la genèse du Mal.

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The Notorious S.Y.L.V.

The Notorious S.Y.L.V., a.k.a. Codotusylv, écrit sur le rap et tout un tas d'autres choses depuis la fin des années 90. Il fut le fondateur des sites culte Nu Skool et Hip-Hop Section, et un membre historique du webzine POPnews. Il a écrit quatre livres sur le rap (dont deux réédités en version enrichie), chez Le Mot et le Reste.

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