MALA – Himalaya

MALA – Himalaya

Mala Manga a toujours été là, mais il n’a jamais vraiment été au premier plan. Issu de Boulogne-Billancourt, on l’aperçoit dès la fin des années 90, lui et son groupe Malekal Morte, auprès du duc des lieux. On l’entend sur le premier album du Beat 2 Boul, sur celui de Lunatic et sur les solos de Booba dont il intègre le 92I, et il est parrainé un temps par Joey Starr. Actif jusqu’à nos jours, et alors que sa réputation aurait pu lui permettre de jouer les premiers rôles, il préfère cependant travailler avec des seconds couteaux. Et puis il n’a, au cours de sa longue carrière, jamais sorti qu’un seul album.

Oui, mais quel album.

Sorti bien sûr chez Tallac, Himalaya est un objet incroyable, où se carambolent un gangsta rap tour à tour agressif et sensuel (avec parfois un soupçon de vulnérabilité), une voix rugueuse mais puissante déformée éhontément par l’Auto-Tune, des synthétiseurs emphatiques, un rap qui repose davantage sur l’énergie, les mélodies, les ad-libs et les onomatopées que sur un style « lyrical » savant…

Oui. Tout ça. Mais pas en 2015, et pas à Atlanta. Non, ici même, en France, et en 2009, dans un monde du rap qui était alors encore loin, très loin, de ces choses-là. Tout juste venait-on d’entendre le compère Booba, lui-même incompris, se rendre lui aussi dans cette direction, sur 0.9. Et encore, cet album sorti avant aurait été enregistré après Himalaya, à en croire Mala lui-même.

Produit avec de gros sabots par le duo Animalsons, cet album dévoile des morceaux assez incroyables, dans tous les sens du terme. Au milieu de ce tintamarre épuisant et quelquefois maladroit, on repère l’intro où Mala se déclare « star des bandits, ce « J’suis pas ta copine » lourdaud et néanmoins éclatant, ce « Tout m’connais pas » déjà révélé sur une mixtape de Booba, « Izi cash », une collaboration avec son vieux compère Bram’s, aujourd’hui décédé, une autre avec Djé, avec « Bande à part », lequel sert un grand couplet, ce « Comme tout le monde » ou Mala exprime toute sa faim avec le Jamaïcain Chukki Star, et puis ce « Danse pour moi » particulièrement osé, avec le rappeur susnommé et une virevoltante musique eurodance, présents ici dans deux versions.

Le secret de cette approche visionnaire, c’est que le rappeur écoute alors très peu de rap français. Son style n’est pas incestueux. Mala s’abreuve à la source, le rap américain, et il s’intéresse aussi à tout un tas d’autres genres, funk, raï, reggae (deux personnages issus de cette école, Chukki Star et Busy Signal, sont d’ailleurs invités ici). Cela s’entend, avec la scansion jamaïcaine du refrain de « La Malekal », par exemple. Débarrassé de ce travers français, celui de vouloir suivre de supposées tables de loi du hip-hop, Mala ne pense qu’à une chose : s’exprimer avec force et impact. Et il délivre une œuvre extraordinairement personnelle, une qui, en vérité, ne ressemble à aucune autre.

« Homme de l’ombre », se prétend ce rappeur, se référant à sa vieille collaboration avec Lunatic sur leur album Mauvais Œil. Il beugle ces mots sur l’intro de ce autre classique du rap français qu’est Himalaya. Oui, en effet. Mala sera resté un homme de l’ombre. Et cela est bien dommage.

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The Notorious S.Y.L.V.

The Notorious S.Y.L.V., a.k.a. Codotusylv, écrit sur le rap et tout un tas d'autres choses depuis la fin des années 90. Il fut le fondateur des sites culte Nu Skool et Hip-Hop Section, et un membre historique du webzine POPnews. Il a écrit quatre livres sur le rap (dont deux réédités en version enrichie), chez Le Mot et le Reste.

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