JEAN-PHILIPPE JAWORSKI – Le débat des dames

JEAN-PHILIPPE JAWORSKI – Le débat des dames

Curieuse et audacieuse structuration que celle choisie par Jean-Philippe Jaworski pour sa dernière trilogie, Le chevalier aux épines. Alors que le premier tome nous racontait, dans un style très inspiré par le roman courtois, les pérégrinations du susdit chevalier, Ædan de Vaumacel, en compagnie de son fidèle écuyer et de son impertinent page, le second nous relatait la même histoire par l’intermédiaire d’une vieille connaissance, Benvenuto Gesufal, le héros du livre de référence de l’auteur, Gagner la Guerre, dont nous retrouvions les aventures rocambolesques et le ton canaille.

Ce grand moment de fan service, cependant, n’a été qu’une parenthèse. Le troisième et dernier tome de cette série se recentre sur le chevalier sans peur et sans reproche qui donne son nom à la trilogie. Le décor est maintenant planté, celui d’une querelle familiale prête à dégénérer en guerre civile, mais troublée par l’entrée en jeu impromptue d’ennemis barbares, les clans d’Ouromagne. L’action et le propos, peuvent donc se resserrer, plus encore que dans le premier livre, sur le vaillant Ædan de Vaumacel, le Bel Eglantier, dont on découvre plus en détail les allégeances et les secrets.

Comme Gagner la guerre, dont l’action s’articulait tout entière autour du caractère canaille et amoral de Don Benvenuto, Le débat des dames tourne autour de la personnalité du sire de Vaumacel. Mais il s’agit cette fois d’un tout autre individu. Ædan, en effet, est une sorte de machine dont toutes les actions sont immuablement dictées par le code de la chevalerie. Le souci, pour lui, c’est qu’il est difficile de s’y conformer dans le monde cruel régi par la realpolitik. Et se mettre au service des dames présente bien des dilemmes quand ces dernières se haïssent et que leurs injonctions se contredisent.

Ce Don Quichotte du Vieux Royaume (le cadre principal des romans de Jaworski) doit donc trouver sa voie dans le conflit qui oppose bientôt les deux dames auxquelles il a juré loyauté. L’une est la Lissandière, la femme de son cœur, une enchanteresse dans le style de la Dame du Lac, à qui il doit de singuliers pouvoirs. L’autre est la duchesse déchue de Bromael, une épouse répudiée à laquelle la magie noire a accordé une seconde vie. Le chemin est étroit, si le Bel Eglantier souhaite conserver son honneur (et plus accessoirement, les nombreuses vies qui lui ont été allouées), ses valeurs sont mises à rude épreuve. D’autant plus que, tout autour, menacent puis se déchainent des forces occultes.

Parce que l’intrigue est plus resserrée, on se perd moins dans Le débat des dames que dans Le tournoi des preux, le premier des volumes de la trilogie. Et Jean-Philippe Jaworski excelle toujours autant dans la représentation des scènes d’action, notamment au cours du long finale, cette fois un enlèvement dans des situations périlleuses et rocambolesques. L’auteur nous décrit alors une mission aux allures très jeu de rôle (une discipline qu’a assidument pratiquée l’auteur), avec sa bande d’aventuriers aux pouvoirs complémentaires (le chevalier, son vieux et loyal écuyer, son page facétieux mais bourré de ressources, trois nobles guerriers elfes, un chat magique). Et c’est une fois encore prenant et échevelé.

Les limites du Jaworski récent, cependant, ne sont pas dépassées. Contrairement à ses tout premiers livres, celui-ci a encore quelques longueurs, beaucoup de délayage et de détours, des dialogues habiles et bien construits, mais proprement interminables. L’intrigue a longtemps peiné à s’installer, avec Le chevalier aux épines, et elle ne trouve pas de véritable dénouement, dans ce tome ultime. Et puis, il y a encore cette débauche constante de vocabulaire, ce goût pour les descriptions riches et sophistiquées, cet amour du texte pour le texte. Jaworski ne se contente jamais de raconter de l’histoire, il fait de la littérature, comme l’indique cette conclusion qui vient se jouer explicitement des lecteurs que nous sommes. Comme le montre trop bien cette fin qui nous laisse sur notre faim.

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The Notorious S.Y.L.V., a.k.a. Codotusylv, écrit sur le rap et tout un tas d'autres choses depuis la fin des années 90. Il fut le fondateur des sites culte Nu Skool et Hip-Hop Section, et un membre historique du webzine POPnews. Il a écrit quatre livres sur le rap (dont deux réédités en version enrichie), chez Le Mot et le Reste.

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