CLIPPING – Dead Channel Sky

CLIPPING – Dead Channel Sky

Le dernier album de clipping. s’ouvre sur le bruit ancestral d’un modem, et cela dit tout.

Cela dit tout du thème. Cinq et six ans après les remarqués There Existed An Addiction To Blood et Visions Of Bodies Being Burned, deux sorties qualifiées d’horrorcore, le trio passe à un autre concept. Comme l’indique son titre tiré de la première phrase du Neuromancien de William Gibson, Dead Channel Sky se veut leur album cyberpunk. Il joue donc à l’envi d’une musique de science-fiction oppressante et de sons de machines (glitches, larsens, parasites, interférences, voix d’androïdes) pour parler des périls et des pièges de notre ère hyperconnectée. Daveed Diggs partage ses visions d’un futur proche effrayant fait de technologie aliénante, d’égarement dans les mondes virtuels (« Welcome Home Warrior »), de société répressive, de hackers rebelles ou de scammeuse dominatrice (« Scam », avec la rappeuse maison Tia Nomore). Les références sont là, celles à William Gibson, mais aussi à Philip K. Dick, à Avatar ou à l’anthologie cyberpunk Mirrorshades.

Le son du modem dit aussi tout de l’époque réinvestie par le trio californiens. Dead Channel Sky s’inspire de la musique qui, dans les années 90, servait de bande-son au début d’Internet. Cet album est rempli des sons aux saveurs house (« Mirrorshades pt. 2 »), techno (« Run It »), drum’n’bass (« Dodger », « Malleus », « Ask What Happened »), big beat (« Change The Channel ») et de choses électroniques plus extrêmes (les expérimentaux « Simple Degradation » et « From Bright Bodies »). Il réinterprète aussi le « Dominator » des Néerlandais Human Resource, un classique du genre.

Un groupe fasciné par des expérimentations sonores et par la science-fiction dystopique et qui captive sans doute plus les fans de rock que ceux de rap (ils sont signés chez Sub Pop, après tout). Un propos politique de bon aloi qui nous enjoint de nous libérer de ces nouveaux paradis artificiels dont sont les réseaux (« Ask What Happened »). Un rappeur amateur de concepts qui délivre ses textes à toute allure et qui rejoue les noces entre hip-hop et musiques électroniques orchestrées autrefois par Afrika Bambaataa, Mantronix et tout l’electro rap… Tout cela ne vous rappelle-t-il rien ?

Ah si, tout de même, vous pensez forcément au mouvement hip-hop underground de la fin des années 90, représenté ici par l’un de ses héros, Aesop Rock. Et comme on a beaucoup écouté tout cela par ici, comme aussi clipping. a pris le temps, cinq longues années, pour concevoir cette dernière sortie (certes, la double-vie d’acteur de Daveed Diggs n’a dû les aider), le résultat ne peut que nous apparaitre réussi. Hormis les bidouilleries de circonstance et quelque spoken word pompeux (« Polaroids »), c’est peut-être même là l’album le plus accessible des expérimentateurs californiens.

Acheter cet album

The Notorious S.Y.L.V.

The Notorious S.Y.L.V., a.k.a. Codotusylv, écrit sur le rap et tout un tas d'autres choses depuis la fin des années 90. Il fut le fondateur des sites culte Nu Skool et Hip-Hop Section, et un membre historique du webzine POPnews. Il a écrit quatre livres sur le rap (dont deux réédités en version enrichie), chez Le Mot et le Reste.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *