CHIEF KEEF – Almighty So

CHIEF KEEF – Almighty So

Aujourd’hui, Almighty So occupe une bonne place dans le canon de Chief Keef. Preuve en est sa sortie la plus récente, sa plus remarquée depuis longtemps, qu’il a voulu présenter comme le second volet de cette mixtape.  Mais il n’en a pas toujours été ainsi. A l’époque, en 2013, il se dit bien au contraire que celui qui a porté haut la vague de la drill music une année plus tôt, déçoit déjà, qu’il est fini. Il se dit que cette sortie gratuite enregistrée avec le renfort de DJ Scream, quelques semaines seulement après la précédente, Bang Pt. 2., est mal fichue, mal mixée et presque absolument dispensable.

Quelques mois après avoir consacré son ascension par un album bien reçu, Finally Rich, on se demande alors pourquoi le jeune rappeur de Chicago, qui vient de quitter la major Interscope, s’entête avec le format sale, approximatif (et saturé par les cris du bien-nommé DJ Scream…) de la mixtape. Ce qu’on ignore alors, ou que l’on sous-estime, c’est que Chief Keef est un vrai musicien, un artiste qui n’en fait qu’à sa guise. Cet homme est là pour avancer, pour innover. Il le dit sur « Self » :

The want the old Sosa
For what, though?

Ils veulent le vieux Sosa
Mais à quoi bon ?

Chief Keef / Sosa veut produire autre chose que ce qu’on attend de lui, ou que ce que l’industrie lui demande. Et à cette occasion, c’est le rap du futur qu’invente le jeune rappeur.

Sur cette mixtape, il est vrai, on retrouve malgré tout la musique d’avant. C’est encore une suite à la trap de Waka Flocka Flame, avec violence irrépressible, synthés pompiers qui écrasent tout sur leur passage, mélodies déclinées sur plusieurs octaves (« Self ») et paroles agressives et inconséquentes sur les filles, les rivaux, la drogue et l’argent de la drogue. « Sucka » en est un bon exemple. L’entêtant et répétitif « Young Rambos » joue lui aussi de l’emphase, à plein. « In Love With The Gwop » est une ritournelle chantonnante qui ne dépareillerait pas chez Young Scooter.

Chief Keef doit beaucoup à Atlanta, et sur Almighty So, cela s’entend particulièrement. Mais ici, on trouve aussi autre chose : des raps marmonnés, des sons quasi atmosphériques (« Ape Shit »), des expérimentations (« Me ») et de l’Auto-Tune bizarre (« Nice », « I Kno ») qui s’accommodent néanmoins de mélodies irrésistibles, le tout sur des morceaux qui n’excèdent pas toujours les deux minutes. Exemplaires, dans ce registre, sont « Blew My High » avec son piano baladeur, ainsi que l’admirable « Baby Whats Wrong With You », avec ses petits scintillements électroniques erratiques.

Bref. Sur cette mixtape, il y a le Soundcloud rap. Il y a le mumble rap. Il y a la musique de l’ère TikTok. Il y a cette ultime métamorphose de la trap music représentée quelques années après par Playboi Carti, par Lil Yachty, par Lil Uzi Vert, et par bien d’autres encore. Rétrospectivement, en revenant sur cette mixtape, maintenant que le temps a passé et que l’oreille s’est faite, Almighty So nous semblerait presque trop familière. Cette sortie a le goût délicieux de l’évidence.

Chief Keef à une dette envers Atlanta, oui. Mais avec Almighty So, il lui donne aussi beaucoup. Il lui apporte énormément, ainsi qu’à bien d’autres scènes. Avec Almighty So, le météore de l’année 2012 s’installe durablement au firmament. De phénomène passager, Chief Keef devient un géant du rap.

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The Notorious S.Y.L.V.

The Notorious S.Y.L.V., a.k.a. Codotusylv, écrit sur le rap et tout un tas d'autres choses depuis la fin des années 90. Il fut le fondateur des sites culte Nu Skool et Hip-Hop Section, et un membre historique du webzine POPnews. Il a écrit quatre livres sur le rap (dont deux réédités en version enrichie), chez Le Mot et le Reste.

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