CAMPER VAN BEETHOVEN – Our Beloved Revolutionary Sweetheart

Le grand mérite du mouvement punk, c’est d’avoir fait suivre un régime drastique au rock. Une fois débarrassés des boursouflures et des prétentions des années 70, tout a pu recommencer comme avant. Maintenant qu’on avait retrouvé des bases saines, on pouvait se lancer à nouveau dans n’importe quoi. Camper Van Beethoven en est l’exemple même. Issu dans les années 80 de cet univers alternatif, les Californiens ont repris le “Wasted” de Black Flag au début de leur carrière. Cependant, leur musique n’a jamais épousé la rigueur sobre et martiale de la scène hardcore. Avec eux, au contraire, tout est bon. Un peu comme le rap de Curse ov Dialect vingt ans plus tard, leur rock s’empare sans effort ni vergogne de tout ce qui remue, folk, pop, psychédélia, ska ou world music.
Our Beloved Revolutionary Sweetheart, leur quatrième album, est le premier pour une major, Virgin Records en l’occurrence. Cependant, cette signature ne change pas grand-chose à l’affaire. Oh bien sûr, certains ont alors le réflexe pavlovien de traiter le groupe de vendu. Et leur musique prend à cette occasion un tour un peu plus propre, plus net et plus professionnel. Mais c’est bien là le seul changement notable. Plus tard, certains membres prendront une voie plus grand public, notamment leur leader et chanteur David Lowery, avec Cracker. Mais en 1988, cette heure n’a pas encore sonné.
Le premier titre, « Eye Of Fatima (Pt. 1) » pourrait le laisser croire. Il est très radiophonique. Mais ses paroles à propos d’un drogué coincé avec une fille dans un motel, elles, ne sont pas habituelles. Pas plus que la seconde partie de ce morceau, un instrumental ingénieux à base de mandoline et de guitare. Et puis entre ce moment et l’optimiste « Life Is Grand » qui clôt l’album, un autre morceau pop, ça part dans tous les sens. Camper Van Beethoven s’approprie et transforme de main de maître cette complainte à la mort qu’est « O Death », un standard du folk des Appalaches. « One Of These Days » a un adorable rythme reggae. Le tapageur « Turquoise Jewelry » a des airs de fanfare balkanique. « Never Go Back » lorgne du côté de la country. Et si l’instrumentation de « Devil Song » est plus traditionnellement rock, sa mélodie a des consonnances nettement arabisantes.
C’est bourré de trouvailles. Sur « She Divines Water », le violon (l’atout maître du groupe) virevolte bien en avant avant de s’effacer dans un délire psychédélique, puis de laisser la mandoline reprendre sa mélodie. La longue introduction sans parole de « Change Your Mind » est magnifique. A propos de musique toute nue, il y a aussi des instrumentaux affriolants (le rock’n’roll « Waka », l’épique « The Fool »). Et sur « Tania », se rencontrent les influences jamaïcaines et centre-européennes mentionnées plus haut pour un hommage à Patty Hearst, la « beloved revolutionary sweetheart » en question.
Tout cela est toujours surprenant. Et tout cela reste très, très accrocheur. Malgré son ancrage fort dans son époque et dans le college rock des années 80, leur musique pioche tellement partout qu’elle demeure aujourd’hui encore une bizarrerie intemporelle. Pour l’essentiel, sur Our Beloved Revolutionary Sweetheart, Camper Van Beethoven est encore le même groupe. Nouvellement signé, il ne change pas. Il profite juste d’un peu plus de moyens. Et cela, bien employé, n’a jamais rien gâché.