BENNY THE BUTCHER – The Plugs I Met

BENNY THE BUTCHER – The Plugs I Met

Il l’avait annoncé sur « Broken Bottle », un titre de Tana Talk 3 : Jeremie Pennick, alias Benny The Butcher, enregistrerait bientôt un album sur « the plugs he met ». Ce n’était donc pas qu’un bon mot, ou une parole en l’air. Ce projet a bel et bien vu le jour, l’année d’après. Malgré ses vingt-quatre petites minutes, il est même parvenu à s’inscrire parmi les plus appréciés de 2019, et à devenir un incontournable de la pléthorique production du label de ses cousins Conway et Westside Gunn, un Griselda Records basé à Buffalo dans l’état de New-York, et devenu la relève du vieux rap East Coast.

Le « plug », dans le jargon des rues, c’est le partenaire des dealers. Son fournisseur. C’est cet individu grâce auquel ils s’approvisionnent et font circuler leur marchandise. Logiquement, c’est donc le « plug » ultime que l’on reconnait sur la pochette : Alex Sosa, à ce moment fatidique où, dans Scarface, Tony Montana entame sa fructueuse et funeste collaboration avec lui.

Aussi, naturellement, The Plugs I Met ne parle que de drogue. Le cas d’école, c’est « Sunday School » avec Jadakiss et 38 Spesh, une longue dissertation sur le trafic de cocaïne, avec allusion à la violence et comparaisons aux icônes du gangstérisme Al Capone et John Gotti. Et comme de bien entendu, on ne sait parfois plus si Benny et ses invités vantent leurs exploits de dealers, ou leurs prouesses de rappeurs. Les « plugs » présents ici, d’ailleurs, sont avant tout des caciques du rap comme Black Thought, Jadakiss et le grand ponte de ce cocaine rap auquel s’adonne Benny : Pusha-T lui-même.

Cette tradition, cependant, est plus ancienne que Pusha-T. Le rap de mafioso, c’est Raekwon, Biggie, Nas, Jay-Z et quelques autres qui l’ont mis sur la table, et il était à l’origine new-yorkais. Cet album nous le rappelle. Il traite de son sujet à l’ancienne, avec noirceur, pessimisme, avec un arrière-plan social. Sur le même « Sunday School », il décrit les à-côtés de son trafic : passer l’anniversaire de sa fille en prison, ou voir les jeunes Noirs accrocs à la drogue gaspiller leur vie pour un plaisir fugace.

Bien sûr, quand on invite Black Thought, c’est pour parler de la pression du ghetto plutôt que du monde étincelant des gangsters. Car si Benny The Butcher est un dealer patenté, c’est par nécessité, plutôt que par choix : « blâmes-tu le loup quand il essaie de manger », s’interroge-t-on, d’entrée.

Quand en plus d’une poignée d’autres producteurs, on convoque le beatmaker maison de Griselda, Daringer, ou bien The Alchemist, l’incarnation même du classicisme rap, c’est aussi pour évoquer le son traditionnel de la Grosse Pomme. C’est pour jouer d’un somptueux sample d’Al Green (« Crowns For Kings »). C’est pour user d’une boucle de piano aussi minimaliste qu’inconfortable (« Sunday School »). C’est pour sortir les scratches (« 18 Wheeler »). C’est pour installer une ambiance crépusculaire (les grands « Took The Money To The Plug’s House » et « 5 To 50 »).

C’est une formule maîtrisée que déroulent donc le rappeur et ses collaborateurs, une formule entendue mille et mille fois. Car Griselda Records, admettons-le, c’est un peu la seconde division du rap revivaliste de notre époque, la première étant animée par des gens plus captivants tels que Roc Marciano et Ka. Cette seconde division, toutefois, Benny The Butcher en a pris la tête en 2019.

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The Notorious S.Y.L.V.

The Notorious S.Y.L.V., a.k.a. Codotusylv, écrit sur le rap et tout un tas d'autres choses depuis la fin des années 90. Il fut le fondateur des sites culte Nu Skool et Hip-Hop Section, et un membre historique du webzine POPnews. Il a écrit quatre livres sur le rap (dont deux réédités en version enrichie), chez Le Mot et le Reste.

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