NOAH23 – Ikosi Tria

Vingt-trois. Telle est la traduction du nom grec de cet album, Ikosi Tria. Vingt-trois comme le nombre de ses pistes. Vingt-trois, comme le jour de sa sortie (le 3 février : 2/3 à la mode des Etats-Unis). Vingt-trois, comme l’année 2023. Vingt-trois, comme Noah23. Car le fantasque rappeur américain établi à Guelph, au Canada, est toujours bel et bien là. Car cet homme, apparu au début du siècle avec l’essor des rappeurs indé du gouffre, n’a jamais cessé d’être productif. Car deux décennies après ses débuts, il reste fidèle au poste et tout à fait pertinent, comme le prouve cette sortie récente.
Contrairement à d’autres héros underground de l’an 2000, Noah23 n’est pas resté bloqué dans son époque. Sans jeunisme aucun, et sans trahir son style, il s’intéresse aux nouvelles écoles. Il l’a démontré en 2015, sur l’album Peacock Angel, en jouant d’une imagerie très Raider Klan en compagnie de la génération Soundcloud et des $uicide Boy$. Il l’a rappelé en 2021, en côtoyant le Based God en personne, Lil B, sur le single « Time Will Tell ». Et il récidive sur Ikosi Tria.
En plus du boom bap et de l’égo-trip « lyrical » qu’on est en droit d’attendre en terres backpacker (« Move Waste »), en sus des accents indie rock qu’ont parfois eu de tels rappeurs underground (« Fast Life »), Noah23 s’adonne à une pop plus moderne (« Spray ») et il murmure ses raps à la mode de l’époque (« Wave »). Il use des rythmes de la trap music (« Tarot Cards », « Alley Cat »), de la mélancolie de l’Auto-Tune (« Icarus »), de Soundcloud rap dépressif à la XXXTentacion (« Statues In The Sand »), des bizarreries atmosphériques de Keyboard Kid (un pionnier du cloud rap auprès de Lil B). Et sur « Destiny », Noah23 s’essaye même à la UK drill, avec de la réussite qui plus est.
Quelques invités plus ou moins connus sont présents, notamment Slug † Christ, le rappeur le plus chelou (et le plus blanc, ça va souvent ensemble…) de la bizarre confrérie Awful Records, sur le formidable « Dying Inside ». Il y a aussi, afin de rameuter la vieille garde, ce bon vieux Killah Priest. Et on a manqué de peu Kool Keith, avec qui Noah23 vient tout juste de sortir un single. Mais pour le reste, hormis quelques noms familiers de la sphère Soundcloud (KirbLaGoop, Nedarb, etc.), les collaborateurs du rappeur sont tous plus obscurs les uns que les autres, à commencer par cette armée mexicaine de producteurs qui l’épaule aux sons.
Ikosi Tria est dans la lignée de ce que Noah23 a déjà délivré. C’est un patchwork psychédélique, où l’on parle de drogue de manière compliquée ( « Brain Eating Amoeba ») et où l’on paie un tribut à Timothy Leary, sur un titre à son nom. C’est un album rempli d’étrangetés délicieuses, comme ce « Particle Accelerator », avec une certaine SpiceGurlPurp, ou plus hasardeuses, comme ce « Canopy » desservi par les cris de chèvres de KirbLaGoop. C’est une sortie éclatée, alambiquée, composite, et néanmoins affriolante. Et par ailleurs, c’est totalement en phase avec notre temps, c’est tout à fait à sa place en l’année 23 de notre ère.