ALLBLACK – TY4FWM

L’album de référence, celui qui vous fait changer d’échelle, celui qui vous impose auprès d’un public large, celui confirme votre ascension. Ce stade crucial, AllBlack semble l’atteindre avec cette dernière sortie, qui bénéficie de tout ce qu’il faut d’invités : E-40, le grand parrain de la scène dont il est issu, la Bay Area ; des rappeurs de sa ville d’Oakland (G-Eazy, Guapdad 4000) ; de sémillants représentants des scènes géographiquement ou esthétiquement proches de Sacramento (Mozzy, ShooterGang Kony), Los Angeles (Vince Staples, Drakeo the Ruler) et Detroit (Sada Baby, Peezy) ; et le renfort ponctuel d’un producteur en vue (Kenny Beats) pour compléter le travail du collaborateur habituel d’AllBlack, DTB. C’est l’appui et la sanction d’une telle assemblée qu’AllBlack semble remercier avec le nom abscons de ce dernier album, TY4FWM, un acronyme pour « thank you for fuckin’ with me ».
L’heure est donc venue pour D’Andre Sams, un garçon qui, après avoir trempé dans la délinquance et été tenté par une carrière dans le football américain, a fait ses débuts en tant que hype man de 100s, futur Kossisko, présent ici sur le premier titre. Ces dernières années, à travers les projets No Shame, Outcalls, 2-Minute Drills et enfin 22nd Ways, sa collaboration avec Offset Jim, son étoile est montée. Et puis tout s’est accéléré encore avec la prise en main d’AllBlack par Empire. Il a eu un vrai gros tube en 2019, « West Coast », où il partageait la vedette avec G-Eazy, Blueface et YG. Et puis en 2020, il a sorti un album déjà remarqué, No Shame 3, où figurait le père fondateur du rap de la Baie, Too $hort.
Tout ça, donc, pour nous amener à ce TY4FWM, un album bien construit, qui nous précipite d’emblée au cœur de l’action avec la musique très club du trépidant « Life Of A P », et qui se clôt parfaitement avec un mémorable « Ride ». Il s’agit là d’une œuvre bien pensée. Il y a les sonorités plus pop de « Anejo » et de « Do Or Die ». Il y a aussi des singles, « 10 Toes » et « We Straight », ceux avec les têtes d’affiche E-40, G-Eazy et Vince Staples, placés aux bons moments. Mais il y a également, supérieurs à ces derniers, quelques autres pièces de choix comme l’ego-trip gangsta de « How I Feel », la collaboration avec Drakeo et Kenny Beats, « Ego », et un « Save Me » aux percussions trap.
Cependant, pour parvenir à ses fins, AllBlack choisit la fidélité à l’univers dont il est issu. TY4FWM, en effet, est une célébration de la Bay Area. Les paroles insolentes de gangsters s’accompagnent des basses profondes et des sons synthétiques de la mobb music. Les sons pêchus et entrainants descendent en droite ligne de la hyphy. Et le thème par excellence en ces lieux, le proxénétisme (une activité à laquelle AllBlack lui-même se serait adonné en ses années de délinquance), est abordé de manière récurrente, il est déroulé sur « Get Yo Money Sis », « P’s & Q’s 2 » et « We Straight ».
Le rappeur représente si bien sa région qu’avec la participation de quelques autres personnalités issues des lieux, comme Kehlani, il a transformé la vidéo de « Cleat Check » en un documentaire sur la pauvreté à Oakland en ces temps de COVID, vantant l’action du groupe politique et caritatif People’s Breakfast. Alors, si après TY4FWM, AllBlack n’a pas accru sa notoriété à l’échelle nationale, il aura au moins fièrement clamé et obtenu sa place dans le panthéon très fourni du rap local.