MORRAY – Street Sermons

MORRAY – Street Sermons

Domicilié à Fayetteville, en Caroline du Nord, aujourd’hui proche de la trentaine, Morae Ruffin a fait pendant longtemps du rap en amateur. Son premier titre, en 2014, n’est destiné qu’à célébrer l’anniversaire de son épouse. Cette dernière, cependant, lui conseille de persévérer, et d’être plus personnel dans ses chansons. Cela aboutit plus tard au morceau « Quicksand », puis à sa vidéo en mars 2020. Et celle-ci devient un succès viral, cumulant les vues et les streams par millions, contre toute attente pour ce père de famille rangé qui se jugeait trop vieux pour faire carrière dans le rap.

A partir de là, la machine médiatique s’emballe. Les deux rappeurs les plus notoires de Caroline du Nord, J. Cole et DaBaby, font l’éloge de Morray (on l’entendra sur le nouvel album du premier, The Off-Season), et l’empereur du hip-hop en personne, Jay-Z, l’insère dans une playlist sur Tidal. Suivent une signature chez la major Interscope, et tout le marketing qui va avec : une nomination parmi les Freshmen de XXL, une batterie de papiers et d’interviews dans la presse musicale, puis un premier album en 2021, Street Sermons, présenté précautionneusement comme une « mixtape commerciale », et que l’on voit déjà pointer en bonne place dans les classements de fin d’année.

Tout cela, donc, a été permis par « Quicksand », une rengaine accompagnée d’une guitare souple et de rythmes trap music, où Morray parle d’une vie sans cesse rattrapée par les problèmes, et d’un milieu qu’il compare à des sables mouvants parce qu’il est difficile de s’en extirper, autrement que par la délinquance. Fort du succès de ce titre, le rappeur suit donc la même voie sur l’ensemble de cette « mixtape » : suivant les conseils avisés à sa femme, il parle avant tout de lui-même. Seul, sans la moindre contribution extérieure, il rend compte sans mentir de son expérience.

D’entrée, sur « Mistakes », Morray se satisfait de son ascension, mais il n’oublie pas tout à fait ses peines et ses erreurs. Même nuances sur « Trenches », quand il parle des malheurs du ghetto, mais aussi de ses plaisirs et de ses joies, de sa normalité au fond, de cette réalité bien éloignée des images véhiculées par les médias. Sur « Reflections », il commente sa difficile quête d’une place dans sa vie, ou au contraire il célèbre ses accomplissements sur « Bigger Things ». Sur « Big Decisions », il traite des lourdes responsabilités qui pèsent sur ses épaules, sur « Kingdom » de ses rêves pour les siens, sur « Can’t Use Me » des faux amis opportunistes et profiteurs, sur « Façade » et sur le magnifique « Switched Up » de la tromperie et de la trahison de proches. Et sur « Nothing Now », Morray consacre quelques réflexions aux histoires d’amour compliquées.

Dans le paysage musical actuel, de manière attendue pour quelqu’un qui prétend que Drake est son modèle, la place de Morray est parmi les rappeurs-chanteurs qui ouvrent leur cœur. Il y a bien été préparé, ayant été, comme tant d’autres artistes afro-américains, formé aux chants sur les bancs des églises. Et souvent, quand il joue au mieux de sa voix mélodique et légèrement rauque, quand il la sublime avec ces instruments privilégiés des ballades tristes que sont la guitare et le piano, le journal intime que partage le rappeur et chanteur émeut. Grâce à cet album, Morray ne sera pas que la sensation d’un seul titre. En vérité, il y a même de biens meilleurs morceaux que « Quicksand » sur ce Street Sermons tout à fait abouti.

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The Notorious S.Y.L.V.

The Notorious S.Y.L.V., a.k.a. Codotusylv, écrit sur le rap et tout un tas d'autres choses depuis la fin des années 90. Il fut le fondateur des sites culte Nu Skool et Hip-Hop Section, et un membre historique du webzine POPnews. Il a écrit quatre livres sur le rap (dont deux réédités en version enrichie), chez Le Mot et le Reste.

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