TIM BUCKLEY – Tim Buckley

TIM BUCKLEY – Tim Buckley

Il y a la première comparaison bien sûr, celle entre les deux Buckley, celle entre le père, Tim, et le fils. Et elle est vite pliée, tant la discographie de Jeff, malgré les bons moments de Grace, paraît bien maigre en regard de celle du paternel. Mais ensuite, vient le second parallèle, celui que l’on fait entre les deux Tim (voire les trois, ou les quatre… tant le chanteur a su se renouveler avec chaque nouvel album), celui très accessible et enflammé des débuts, et l’autre, plus jazz, plus cérébral, plus expérimental, de l’après. Et là, cela devient nettement plus problématique.

Les snobs préfèrent souvent le second Tim Buckley. D’abord, parce qu’il a lui-même renié les chansons au parfum d’adolescence de ses débuts, et que d’autres, comme son guitariste Lee Underwood, sont allés dans son sens, qualifiant ce premier album folk de maladroit. Ensuite, parce que le tournant expérimental de la carrière de Tim est précisément ce qui le distingue du fils, ce qui lui donne un cachet supplémentaire. Alors que l’on retrouve sur ses premiers albums les mêmes élans, la même exaltation, la même posture romantique exacerbée que chez le rejeton, la suite apporte autre chose.

Pourtant, l’accessibilité n’est pas un crime, et le Tim des débuts est loin d’être négligeable.

Qualifier Tim Buckley d’œuvre de jeunesse, est excessif. D’accord, il sort quand le chanteur n’a que dix-neuf ans, qu’il vient d’émerger de la scène du Comté d’Orange, celle d’où viendra aussi Jackson Browne, et qu’il révèle des chansons que le jeune chanteur a commencé à écrire au lycée (Larry Beckett se chargeant de compléter ces textes). Mais franchement, vous en avez entendu tant que ça des teenagers avec un talent aussi éclatant, avec une voix aussi profonde et assurée, avec des textes aussi chiadés et des arpèges de guitare aussi complexes ?

Au contraire, on pourrait reprocher à Tim Buckley d’avoir mûri trop vite. Même le second album, Goodbye And Hello, pourtant encore très accessible, l’un de ceux qui a bien marché, n’a plus la fougue du précédent. Enregistré sous influence psychédélique, plus maîtrisé, il a aussi d’excellents titres, notamment ce « Phantasmagoria In Two » à inscrire dans la liste des plus belles chansons de la décennie 1960. Mais il sonne déjà plus adulte. Car en ces années-là, sur la scène folk comme ailleurs, on vieillit plus vite qu’aujourd’hui.

Alors, si l’on veut jouir du Tim Buckley le plus intense et le plus ardent, c’est encore le premier album qu’il faut écouter. C’est là qu’il emploie de la manière la plus instinctive son incroyable voix capable de couvrir sans forcer plusieurs octaves. C’est là aussi que ses élans lyriques sont le mieux mis en valeur, à l’occasion, par les arrangements de Jack Nitzsche et les claviers de Van Dyke Parks. Il est difficile de distinguer, malgré quelques graines de tubes (« I Can’t See You », « Aren’t You The Girl », « It Happens Every Time », et le somptueux « She Is »), un morceau meilleur que l’autre parmi ces douze odes amoureuses sophistiquées, ces chroniques des grandeurs et des drames de la passion, que Tim Buckley propose avec ce premier jet.

Alors oui, tout cela pèche d’un léger excès de romantisme. Mais le contraire du romantisme, c’est souvent le calcul, c’est aussi la complaisance, et on a le droit de préférer le premier.

Acheter cet album

The Notorious S.Y.L.V.

The Notorious S.Y.L.V., a.k.a. Codotusylv, écrit sur le rap et tout un tas d'autres choses depuis la fin des années 90. Il fut le fondateur des sites culte Nu Skool et Hip-Hop Section, et un membre historique du webzine POPnews. Il a écrit quatre livres sur le rap (dont deux réédités en version enrichie), chez Le Mot et le Reste.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *