CHRIS BELL – I Am The Cosmos

Plus artiste maudit que Chris Bell, tu meurs. D’ailleurs, c’est bel et bien ce qui est arrivé : l’ex-Big Star est mort, en 1978, à vingt-sept ans, d’un accident de la route. Et si ça n’avait pas été de cela, ça aurait sans doute été d’autre chose, tant le chanteur avait de démons à combattre : dépression chronique, homosexualité refoulée, toxicomanie lourde. A l’inverse de son comparse Alex Chilton qui, décédé en 2010, aura eu le temps de voir son œuvre reconnue et célébrée, Bell sera parti au moment où la cote de Big Star, ce groupe qui a eu l’idée artistiquement fructueuse mais stratégiquement mauvaise de réinventer la pop des Beatles sur les territoires soul de Stax, commençait lentement à monter.
Chris Bell, en plus d’avoir eu une vie pas drôle, n’a donc rien vu du triomphe critique absolu réservé à l’œuvre du groupe, à grands coups de coffrets et de rééditions de luxe dénichant sans cesse de nouvelles perles méconnues. Il n’a pas connu non plus l’accueil favorable reçu par I Am The Cosmos, son seul album solo, une compilation d’enregistrements étalés sur six ans, sortie de façon très posthume, en 1992. A cette époque, R.E.M. et les Replacements ont déjà célébré Big Star, Teenage Fanclub s’amuse à réinvestir leur power pop pour la génération indé des années 90, et This Mortal Coil a repris de main de maître deux de ses chansons sur Blood, après en avoir fait de même avec des morceaux d’Alex Chilton. Bref, il est l’heure, il est temps, pour le Chris Bell solo de trouver son public.
D’autant plus que I Am The Cosmos est excellemment bon. Il a beau avoir été enregistré en plusieurs temps et différents endroits (au Château d’Hérouville, à Abbey Road), et faire l’écart de l’acoustique (« Speed Of Sound », « Though I Know She Lies », « You And Your Sister ») et du contemplatif (« Look Up ») au franchement plus rock‘n’roll (« Get Away », « Make A Scene », « I Got Kinda Lost », « I Don’t Know »), il ressemble à un véritable album, il ne porte aucune trace de son origine compilatoire.
Mieux (ou pire, selon), l’ambiance de I Am The Cosmos colle à son statut de disque maudit. Pour un peu, on croirait qu’il date vraiment de 1992 et que, depuis sa tombe, Bell continue à nous chanter sa complainte, cette musique qui n’est pas tout à fait un chant de désespoir, mais plutôt l’invocation d’une quiétude impossible, la recherche d’une félicité qui se dérobe. Visez le déchirant « Look Up ».
Au menu donc, la peine immense et désarmée d’un presque enfant noyée dans l’électricité des guitares, un lancinant besoin d’amour, fut-il fictif et non partagé, et des envies suicidaires (« There Was A Light »). Et puis des élans de spiritualité, Chris Bell ayant cherché, au terme de sa courte vie, à combattre ses maux par le christianisme. Un christianisme pessimiste, sans illusion et sans réel espoir, à en croire les paroles désabusées et douloureuses du poignant « Better Save Yourself » :
You shoulda gave your love to Jesus,
It couldn’t do you no harm
C’est à Jésus que tu aurais dû doner ton amour,
Ca ne t’aurait pas fait mal
Ces moments mis à part, cet album est proche de Big Star. Il aurait presque mérité de porter le nom du groupe, à la manière de Radio City et de Third/Sisters Lover, pour l’essentiel des projets du seul Chilton. Il est plus puissant encore que le premier Big Star, comme si on sentait, petit à petit, l’inéluctable mort se rapprocher du chanteur. La sortie est posthume, mais les titres, eux, sont presque prémonitoires. Et comme Chris Bell lui-même, on l’espère, ils ont gagné aujourd’hui leur place dans l’éternité.