GIGGS – Let Em Ave It

GIGGS – Let Em Ave It

Osons le dire : Nathaniel Thompson est l’acteur le plus important de toute l’histoire du rap anglais. C’est lui qui, en renouant avec le modèle américain, celui du gangster, lui a paradoxalement donné un futur. C’est lui qui a apporté une alternative au grime et qui a ouvert la voie à la UK drill, en cette période pivot qu’est le passage entre les deux premières décennies du siècle. Ce rôle, il l’a consacré en 2011, avec son premier album pour XL Recordings, le label britannique qui, de Prodigy à Adele en passant par Dizzee Rascalz, a accompagné les plus grands phénomènes musicaux de son pays.

A ce moment de sa carrière, Giggs a déjà imprimé sa marque. Il a sorti un premier album, Walk In Da Park, ainsi que plusieurs mixtapes gratuites. Il a collaboré aussi avec les grands du grime Wiley (« Zip It Up ») et Skepta (« Look Out »). Preuve de son essor, il a la police aux fesses. Et celle-ci, peu ravie de voir cet ancien délinquant gagner en influence, fait pression pour annuler ses concerts.

Celui dont le surnom vient de « giggler » (le ricaneur), ne rigole pas vraiment. Son thème, déroulé d’une voix monotone, ce sont les combines de la rue (« Hustle On »). Ses textes sont des confessions sur sa vie passée entre rap et criminalité (« The Way It Is »), sur son existence périlleuse (« Life ») et sur sa victoire contre l’adversité (« Ner Ner »). Ce sont des histoires d’armes et de meurtres (« Bus Commercial »), de violence urbaine (« Matic », « Have It Out ») et de commerce illicite (« Get Your Money Up »). Ce sont des souvenirs de jeunesse délinquante comme sur « Let Em Ave It », ou bien « Reminiscing », avec les complices Joe Grind et Gunna Dee. Ce sont des envies de fuite dans la drogue (« Up, Up And Away »).

Aboutissement d’un parcours dont Giggs est sorti vainqueur (« Intro »), Let Em Ave It est néanmoins accessible. Destiné à un public plus large, présence chez XL Recordings oblige, il est plus mainstream. La musique est scintillante et tourbillonante. On y trouve un single pour les clubs, « Look What The Cat Dragged In ». Il y a des moments sentimentaux, où il parle de son amour pour sa compagne (« The Loves Still There ») ou pour son fils (« Little Man & Me »). En refrain, on entend les scies R&B barbantes de quelques chanteuses (Kyra, Shereen Shabana) ou chanteur (Nathan). Et puis, sur des bonus tracks, l’Américain B.o.B et l’Anglais Mike Skinner mettent leur notoriété au service du rappeur.

Toutefois, cela demeure du Giggs, le rappeur qui rapproche les deux rives de l’Atlantique. L’accent et l’argot sont anglais. Il déploie des rythmes anormalement rapides qui rappellent l’héritage grime (« Look What The Cat Dragged In », « What More Do They Want », « Matic »). Dans les sons, comme dans sa scansion et son ton grave, on perçoit ce reggae dancehall si prégnant en Grande-Bretagne. Mais il y a aussi de gros synthés triomphants qui évoquent la trap music motivationnelle de Young Jeezy (« Intro », « Get Your Money Up »), ainsi que des voix screwed (« Hustle On ») et un vague-à-l’âme résigné de gangster (« Signs ») qui rappelent le rap à la texane.

La musique populaire anglaise n’a jamais gagné à se refermer sur elle. Chaque fois qu’elle a apporté quelque chose de grand en monde, c’est quand elle a repris à sa sauce des formules inventées en Amérique, c’est quand elle s’est resourcée là-bas. Giggs en est l’une des dernières illustrations.

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The Notorious S.Y.L.V.

The Notorious S.Y.L.V., a.k.a. Codotusylv, écrit sur le rap et tout un tas d'autres choses depuis la fin des années 90. Il fut le fondateur des sites culte Nu Skool et Hip-Hop Section, et un membre historique du webzine POPnews. Il a écrit quatre livres sur le rap (dont deux réédités en version enrichie), chez Le Mot et le Reste.

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