EBK JAAYBO – The Reaper

La scène de Stockton, très certainement, a pris un gros coup quand est mort son membre le plus en vue, Young Slo-Be. Cependant, elle ne s’est jamais limitée à ce dernier. Elle vit donc encore, à travers certains autres de ses acteurs, ceux avant tout du collectif et gang EBK (pour EveryBody Killa), auquel appartient Jaaybo. Jaymani Gorman n’a quasiment plus quitté la prison depuis son adolescence, et pourtant il délivre. Il sort album sur album. Et The Reaper, l’an passé, une sortie portée entre autres par le single « Boogieman », a été l’un des plus remarquables à surgir récemment de cette scène.
The Reaper, c’est une nouvelle exploration de l’univers dystopique et violent de Stockton, et plus précisément du quartier de Nightingale. A plusieurs reprises, EBK Jaaybo parle des traumatismes qui l’ont formé : la vision d’un homme tué alors qu’il n’était encore qu’un enfant (« I Was Just A Child ») ou bien la mort d’un frère (abordé d’entrée, sur « Pops Punch Me In »). Le deuil est un thème récurrent, comme sur « Don’t Feel The Same ». Le rappeur s’estime perdu et interdit de rédemption, d’après « Can’t Save Me ». Et en conséquence, un désespoir intense soutient tout le propos.
Ces textes funèbres sont une évocation sans ambages de la mort et de l’enfer. Jaaybo le signifie par sa pochette et par les titres de ses chansons (« Straight To Hell », « Satanic », « Probably Cursed », « Lost Inside A Graveyard »). Ces paroles ont une prédilection très marquée pour de sombres histoires de confrontations et de règlements de compte meurtriers entre gangs. Et elles font preuve d’une poésie morbide, comme quand, sur « Talk This Way », Jaaybo évoque le corps sans vie d’un opp pourrissant sur le trottoir, ou quand, sur « Give That Chain Up », il nous décrit un cerveau en charpie.
Pour soutenir ce lyrisme noir, le rappeur s’accompagne d’une musique généralement lente, habillée adroitement de samples féminins tristes et fantomatiques, ceux de « Straight To Hell », de « Satanic », de « Tornado Season », de « G Block Baby » par exemple, et ceux aussi, bien sûr, du single phare « Boogieman ». Et puis évidemment, on entend toutes les signatures du style local : ces pulsations électriques qui rappellent le rap de Detroit, un flow qui se soucie bien peu du beat et l’aboiement occasionnel d’un chien. A peu de choses près, en fait, si on lui ôtait son tiers de titres en trop, The Reaper pourrait être l’une des meilleures pièces à représenter la scène rap de Stockton.