PIXIES – Bossanova

PIXIES – Bossanova

Que faire après avoir déjà régénéré un genre musical tout entier ? Comment donner suite à deux des plus grands albums de rock de l’histoire ? Tel est le dilemme pour les Pixies, après les énormes Surfer Rosa et Doolittle. D’autant plus qu’alors, ils sont confrontés aux premières tensions qui, un peu plus tard, auront raison du groupe. Kim Deal, en effet, les a brièvement quittés pour lancer ses Breeders, et il y a de l’eau dans le gaz entre la bassiste et le leader, Black Francis. En plus de cela, au moment d’enregistrer un nouveau disque après de longues tournées éprouvantes, les Pixies rencontrent des problèmes de studio qui les obligent à concevoir ce troisième album à l’arrache, dans la précipitation.

La première conséquence c’est que Bossanova est, plus encore que ses prédécesseurs, la créature de Black Francis. Ce n’est pas un hasard si ce dernier a parfois dit que cet album était son préféré : on n’y entend plus que lui. Les chants de Kim Deal passent à l’arrière-plan, réduits à quelques vocalises fantomatiques. Elle ne tient le premier rôle sur aucune des nouvelles chansons. Et ce sont les obsessions du leader qui s’expriment à travers ces textes toujours aussi obtus, avec leurs allusions à la science-fiction : un single « Velouria », qui évoque une romance avec une extra-terrestre, ou encore « The Happening », qui nous parle de la Zone 51 et d’un atterrissage alien à Las Vegas.

L’autre conséquence de cet enregistrement improvisé, c’est que cet album, toutes proportions gardées, est plus simple que les précédents. L’expérimentation n’a pas disparu, les paroles demeurent cryptiques. Et pourtant, les iconoclastes Pixies reviennent aux fondamentaux. Ils s’inspirent de la riante surf music, reprenant dès le premier titre, un instrumental, le « Cecilia Ann » des Surftones, et délivrant d’autres mélodies avec le long et imprévisible « All Over The World », les mélopées langoureuses de « The Happening », le finale tout gentil de « Havalina » et ce très beau « Ana » dont la première lettre de chaque vers épelle par deux fois le mot « surfer ».

Les Pixies célèbrent aussi cette « Rock Music » qui baptise le très criard morceau d’après. Ils sonnent très pop sixties sur « Blown Away ». Ils se réfèrent même au jazz du pianiste Mose Allison. Avec ces chansons dont plusieurs portent le nom d’une fille, avec les envies primales de sexe qu’on devine derrière les références bibliques de « Down To The Well », avec aussi cette thématique science-fiction de pulp magazine, ils renouent avec l’insouciance des années 50 et 60, ils la mettent à jour avec le son énergique et rugueux du punk hardcore américain. Ils revisitent une vieille culture populaire pas encore habitée de prétentions artistiques, tout en se faisant les successeurs des conceptuels Talking Heads sur « Dig For Fire ». Tout en étant, malgré tout, le groupe de rock arty ultime de leur époque.

Avec ses titres courts et mélodiques, Bossanova est, en somme, l’album le plus accessible des Pixies. Même si la production est confiée au même, à savoir le Britannique Gil Norton, c’est un disque moins torturé et moins ésotérique que les précédents. C’est toujours le même groupe, avec ces subites explosions de fureur qui en influenceront plus d’un (« Smells Like Teen Spirit », te voilà déjà), mais en plus léger, en plus resserré et en plus estival, comme l’annonce ce titre qui sent bon la douceur plaisante du soleil brésilien. C’est le complément adéquat à une œuvre déjà conséquente.

Que faire, donc, après avoir régénéré tout un genre musical ? Comment donner suite à deux des plus grands albums de rock de tous les temps ?

Et bien tout simplement en enregistrant un autre classique, semblent avoir répondu les Pixies.

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The Notorious S.Y.L.V.

The Notorious S.Y.L.V., a.k.a. Codotusylv, écrit sur le rap et tout un tas d'autres choses depuis la fin des années 90. Il fut le fondateur des sites culte Nu Skool et Hip-Hop Section, et un membre historique du webzine POPnews. Il a écrit quatre livres sur le rap (dont deux réédités en version enrichie), chez Le Mot et le Reste.

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