THREE 6 MAFIA – Chapter 2 – World Domination

THREE 6 MAFIA – Chapter 2 – World Domination

Retracer les débuts de Three 6 Mafia, c’est parler du premier album, le culte Mystic Stylez, en 1995. C’est aussi évoquer la mixtape Smoked Out, Loced Out, qui en a été l’avant-goût. On peut aussi remonter plus loin dans le temps, aux cassettes sorties dès le début des années 90 par Juicy J d’un côté, et par la fratrie DJ Paul et Lord Infamous de l’autre. S’y trouvent déjà certains de leurs futurs standards. Mais en vérité, le départ pour le grand large a lieu en 1997, avec le troisième album.

Son titre annonce où le groupe de Memphis en est alors : à deux doigts de conquérir le monde. Avec lui, tout est réuni pour quitter la sphère régionale. Le groupe vient tout juste de monter son label, Hypnotize Minds, et dans la foulée, il l’a associé à la major Sony, à travers un contrat de distribution auprès de Relativity, sa filiale spécialisée dans ces genres sales que sont le rap et le metal.

Et sale, Three 6 Mafia le demeure. Leur musique s’émancipe du son lo-fi de leurs débuts, mais du côté des paroles, ses membres mettent peu d’eau dans leur vinaigre. Le style agressif, la posture amorale et les provocations insanes sont toujours les mêmes. Plusieurs titres d’ailleurs, (« Tear da Club Up », « Late Nite Tip », « Bodyparts », « N 2 Deep »), recyclent de la matière issue des albums précédents.

Après plusieurs faux départs, le ton est donné avec l’extraordinairement violent « Hit A Muthafucka », un morceau qui incite à mettre le club à feu et à sang, une répétition générale avant l’historique « Tear Da Club Up ’97 », qu’on retrouve plus tard. Et s’ils ne prennent plus place dans le cadre de la discothèque, d’autres titres ont la même agressivité. Ils lancent les mêmes appels au meurtre, comme le terrifiant « Are U Ready 4 Us », interprété avec la Dayton Family, leurs homologues de Flint, ou encore le sanglant posse cut « Bodyparts ». Ils parlent d’armes et d’assassinats, comme sur « Who Got Dem 9s », ou sur ce « Gunclaps » qui transforme la ville de Memphis en théâtre de guerre.

Et quand ces rappeurs cessent de se battre avec les autres, d’intimider leurs adversaires (« Flashes ») ou de fuir la police comme sur « Spill My Blood » et « 3-6 In Da Morning » (leur version à eux du classique d’Ice-T, « 6 In The Mornin' »), c’est soit pour fumer un joint (« Weed Is Got me High »), soit pour des pauses sexes bestiales (« Watcha Do ») et dénuées de tout sentiment (« Late Night Tip »), puisque, du point de vue de ces brutes, les filles ne sont que des salopes (« Neighborhood Hoe »).

Ce sont des excès que seul le metal, une influence parfois revendiquée, a osé pratiquer avant eux. C’est la même musique du diable. C’est la même ambiance satanique, accentuée par des orgues mortuaires et des bruitages dignes d’un film d’horreur (« I Ain’t Cha Friend »). Ce sont les mêmes paroles de psychopathes, comme quand sur « Anyone Out There », Lord Infamous incarne un dingue qui tue sa famille avant de se faire enterrer vivant. Ce sont encore ces samples hachés menus et ces phrases répétées ad nauseam, dont l’inconfortable « Prophet Posse » est un remarquable spécimen.

C’est aussi cette aptitude à ralentir le tempo et à jouer de la mélodie, comme sur « Motivated » et « Who Got Dem 9s », voire à user d’une musique évanescente (« Spill My Blood »), pour devenir plus menaçant encore. C’est la même brutalité, avec en plus, pour hurler avec cette meute de mecs gras en furie, pensez-y, une jeune fille âgée de dix-huit ans seulement, Gangsta Boo.

Beaucoup, plus tard, réaliseront que Three 6 Mafia n’est que la partie immergée de l’iceberg, et que toute une scène s’agite derrière eux, avec des représentants tels que ses géniteurs DJ Spanish Fly et DJ Squeeky, ou encore Gangsta Pat, Kingpin Skinny Pimp, Tommy Wright III, Al Kapone et bien d’autres. Mais c’est bel et bien grâce à la bande à DJ Paul et à Juicy J que tout cela sera porté à la connaissance du monde. Ce sont eux qui récolteront un Oscar, c’est grâce à eux que, jusqu’au cœur des années 2010, des cohortes de jeunes rappeurs voueront un vrai culte au son de Memphis.

Et cette domination mondiale, elle commence avec cet album, déjà plus accessible, mais pas encore compromis, qui leur vaudra leur premier disque d’or. Il capture Three 6 Mafia au bon moment, quand ils tirent profit de leur passé, mais qu’ils vont à la rencontre des masses, à une époque où ses membres historiques sont encore tous présents, au sommet de leur forme et de leur saisissante furie.

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The Notorious S.Y.L.V.

The Notorious S.Y.L.V., a.k.a. Codotusylv, écrit sur le rap et tout un tas d'autres choses depuis la fin des années 90. Il fut le fondateur des sites culte Nu Skool et Hip-Hop Section, et un membre historique du webzine POPnews. Il a écrit quatre livres sur le rap (dont deux réédités en version enrichie), chez Le Mot et le Reste.

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