KEN CARSON – A Great Chaos

KEN CARSON – A Great Chaos

A Great Chaos est donc devenu cela : l’album archétypal d’un sous-genre de rap emblématique du début des années 2020, la rage music. En 2023, avec cette sortie à succès, Ken Carson peaufine cette formule qui marque le passage, à Atlanta, de la décennie 2010 à la suivante, et dont les ingrédients sont un usage maximaliste de l’Auto-Tune, des ad-libs et des répétitions plutôt qu’un rap « lyrical », de l’énergie plutôt que des paroles travaillées, des basses assourdissantes, des synthés tournoyants et une musique électronique saturée, pour un résultat qui égare ceux qui s’accrochent encore aux vieilles définitions du rap. Le rap, d’ailleurs, celui qui se voit en rockstar confie ne pas vraiment en écouter, préférant sur « Jennifer’s Body » s’inspirer de Green Day, l’un de ses groupes fétiches.

Kenyatta Frazier Jr. n’en est pas moins une émanation de l’intelligentsia rap. Adolescent, il est l’ami de Lil88, le neveu du producteur TM88, et dans le studio de ce dernier, il croise les plus grands d’Atlanta, Future et Young Thug. L’influence de ces deux-là sur sa musique est absolument manifeste. Cependant, c’est Playboi Carti qui en fait son protégé et qui lui fait rejoindre son propre label, Opium. Dès lors, le jeune rappeur marche dans les pas de son mentor. Il peaufine le style qu’il a étrenné.

Si Whole Lotta Red est le manifeste de la rage music, A Great Chaos en est l’accomplissement, son produit fini. Il est aussi ce que le titre annonce : un grand bazar, une immense expérimentation cacophonique. Il est une gigantesque logorrhée où l’on reconnait les thèmes de la trap music (les filles, le gang, le sexe, l’argent, la drogue, les marques de luxe…) et où l’on retrouve ce mélange de bravades, de vulnérabilité et de tendances à l’autodestruction qui a marqué l’époque de Future.

Cet album ne fait pas toujours sens. Il est rempli d’onomatopées, de répétitions et d’onomatopées répétées (« huh, huh, huh, huh »). Mais il regorge aussi de tubes, comme « Jennifer’s Body » avec ses consonnances caribéennes au milieu de tout ce bruit synthétique, le fabuleux « Fighting My Demons », à propos de ses nombreuses addictions, et la romance autodestructrice de « i need u ». Sans atteindre cette excellence, d’autres titres impressionnent, tel le lourd et l’agressif « Lose It », l’entêtant « Hardcore », le fier et mécanique « Me N My Kup », la chanson d’amour gothique et déglinguée de « Succubus », et ce « Rockstar Lifestyle » animé d’une seyante mélodie façon jeu vidéo.

Qui plus est, la version Deluxe qui a suivi ne compte pas que des ajouts accessoires. On y trouve ce « ss » en deux mouvements où, avec sa glorification du luxe et sa mélodie synthétique enlevée, on reconnaîtrait presque la trap music d’il y a dix ou quinze ans. Et puis il y a le fier « overseas », une conclusion parfaite. Alors certes, A Great Chao donne le tournis. Il tire au cœur et il fait mal à la tête. C’est une grande lessiveuse. Mais c’est aussi un album sans grands déchets. C’est surtout l’aboutissement de tout un genre. Et pour cela, deux ans après sa sortie, c’est déjà un classique.

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The Notorious S.Y.L.V.

The Notorious S.Y.L.V., a.k.a. Codotusylv, écrit sur le rap et tout un tas d'autres choses depuis la fin des années 90. Il fut le fondateur des sites culte Nu Skool et Hip-Hop Section, et un membre historique du webzine POPnews. Il a écrit quatre livres sur le rap (dont deux réédités en version enrichie), chez Le Mot et le Reste.

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