YOUNG THUG & DJ SWAMP IZZO – I Came From Nothing

Il y a quelques mois, avec un quidam, je me suis embarqué dans l’un de ces interminables débats stériles sur la musique, dans l’une de ces discussions pathétiques, et néanmoins si délectables, qui font tout le sel d’Internet. Rien à voir avec le rap : ça parlait de Radiohead et des mérites respectifs de leurs albums The Bends et Kid A. Alors que je défendais le premier, l’autre préférait le second. Il était, prétendait-il, celui où le groupe avait peaufiné son identité. Où il « s’était trouvé ».
Se trouver… Mais qu’est-ce donc que cette ânerie ? Quel est ce concept fumeux pour école d’art ? On n’attend pas d’un groupe ou d’un artiste qu’il « se trouve ». On souhaite avant tout qu’il s’exprime. Qu’il se sublime. Qu’il impressionne. Qu’exalté et inspiré, il soit habité par un feu sacré communicatif. Même s’il n’est pas original. Même si, à ce stade, il n’a pas encore défini son style propre.
Penchons-nous donc sur la cas de Young Thug.
Ce dernier ne « s’est trouvé » qu’en 2015 avec Barter 6, quand la surexcitation des débuts a laissé place à un art plus maîtrisé, quand son rap de chien fou a été apprivoisé. Avant cela, il s’est singularisé sur 1017 Thug, l’œuvre de la révélation, celle par laquelle, avec un peu de discernement, on devinait déjà qu’il deviendrait un grand du rap. Mais avant cela, sur les trois I Came From Nothing, ses premières mixtapes, Jeffery Williams se distinguait peu de la trap music en vigueur à Atlanta. Il était encore le calque de ses influences. Il était presque aussi générique que son pseudo.
Prenons la première édition, sortie avec l’aide de DJ Swamp Izzo, alors qu’il n’était qu’un inconnu tout juste aperçu sur les Straight Like That des Rich Kidz, sous les noms alternatifs de Yung Thug ou de YoungThugWorld. Ici, les sonorités sont celles d’une trap music gaillarde et entêtante. Ce sont les synthétiseurs mélodiques et entrainants de Gucci Mane, de Travis Porter ou de 2Chainz. Ce sont, sur « Summer », les compositions bulldozer popularisées par Waka Flocka Flame.
Les paroles appartiennent à cet univers. Sur « Jungle », elles traitent de la jungle urbaine de Cleveland Avenue, à Atlanta. Le rappeur raconte l’histoire de bandits qui ont réussi sur « Achieve ». Il roule des mécaniques, il parle de luxe, de filles et d’argent sur « We Ballin' » et sur « Ball On Yall », avec le renfort d’un clone sonore de Rick Ross, Skypad War. Quant au style « lyrical », s’il s’inspire du modèle majeur de Young Thug, Lil Wayne (le morceau « Zan Man » se voit renommé « Weezy Flow »). Ce n’est pas encore la folie complète, comme le montre son phrasé posé et conventionnel sur « Jungle ».
Et pourtant, déjà à cette époque, Young Thug est loin d’être quantité négligeable. Au contraire, il y a des moments habités sur cette mixtape. Il commence à expérimenter avec son flow. Sa voix n’est déjà plus la même qu’avec les Rich Kidz. Il est facétieux et possédé sur « Eat U Alive ». Il chantonne parfois d’une voix efféminée. Il fait le zouave sur « RIP », un titre dont l’entrain et et les cloches de noël contrastent avec le thème : un hommage à tous ses amis morts et emprisonnés. Et même s’il est question de drogues, le sujet central de la trap music, il est visible que nous passons à autre chose, que ses préoccupations premières, ce sont les filles et le sexe, comme avec l’endiablé « In Dis Bitch ».
Bref, à ce stade de sa carrière, Jeffery Lamar Williams n’est pas encore Thugger. Il ne s’est pas encore « trouvé ». Comme il le prétend, il vient peut-être de rien. Mais déjà, il promet d’être quelqu’un.
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