ABOVE THE LAW – Livin’ Like Hustlers

Au tournant des décennies 80 et 90, le gangsta rap s’impose. Mais pour qu’il devienne un mouvement, il faut autre chose que N.W.A. et que son album manifeste Straight Outta Compton. Il lui faut un autre grand groupe. Above The Law, certes, n’atteindra jamais le succès du premier, mais il sera celui-là. Sortis aussi chez Ruthless Records (mais distribués par une autre major, Epic) par l’intermédiaire de son mentor Laylaw, qui connaissait Eazy-E et Dr. Dre, les albums du groupe de Pomona font partie du canon californien, et notamment le tout premier, Livin’ Like Hustlers.
Deux ans après la déflagration N.W.A. les rappeurs d’Above The Law vont alors au bout de la posture gangsta, ils parachèvent la formule, jusque dans leurs pseudos (le 187 de Cold 187um se réfère à l’article du code pénal qui traite d’homicide). Les raps sont agressifs (« Menace To Society »). Il est crûment question de meurtres (le single « Murder Rap », « Another Execution »). Les deux rappeurs, clairement, s’affichent comme des voyous impénitents (le sémillant single « Untouchable »). Livin’ Like Hustlers est important, car il apporte davantage de poids à la proposition gangsta rap, mais pas seulement. Rétrospectivement, il est aussi reconnu, souvent, comme le point de départ du g-funk.
Pour partie, c’est du rap des années 80, cette suite au funk lourd et trépidant de James Brown. Sur « Murder Rap », la musique est remplie de ces beats bruyants et cacophoniques que l’on entendait déjà chez N.W.A., et qui ne sont rien d’autres qu’une extension du son du Bomb Squad. Le brûlot « Freedom Of Speech » rappelle lui aussi Public Enemy par son rap engagé. Le minimaliste « Just Kickin’ Lyrics » a tout l’air d’un égo-trip à l’ancienne. Par ailleurs, les deux rappeurs jouent de leur complémentarité à la manière ludique de la décennie qui s’achève, rappant soudainement en chœur ou finissant les phrases l’un de l’autre, KM.G de sa voix sourde et grave, et Cold 187um avec son timbre plus clair et sa scansion plus énervée. Cependant le futur, subreptice, se fait une place.
En plus de leurs saillies violentes, on entend les rappeurs d’Above The Law vanter crânement et tranquillement les délices d’une vie de gangster (« Livin’ Like Hustlers », « Ballin’ « ) et la volupté d’une existence de pimp (« Flow On (Move Me No Mountain) »). Avec eux, la délinquance n’est plus seulement une conséquence des maux de la société : cela devient un art de vivre. Et la musique, pour accompagner le propos, se fait moins trépidante. Elle devient plus mélodique, s’inspirant d’une soul douce ou d’un funk sirupeux, plutôt que de son versant furieux. Elle progresse, même. C’est perceptible sur le très bon posse cut final, « The Last Song », quand N.W.A. vient se joindre à la fête.
D’après Cold 187um, c’est de lui qu’est venue l’idée d’apporter des sons plus suaves à son rap rude. Après tout, Gregory Hutchinson n’est-il pas le neveu de Willie Hutch, le chanteur de la Motown ? Et n’a-t-il pas été formé au jazz ? Il aurait même inventé le terme de « g-funk’. Mais Dr. Dre, qui a peaufiné la production de ce Livin’ Like Hustlers, retiendra bien la leçon, deux ans plus tard, avec l’album nommé d’après un mot d’argot aperçu sur ce même album d’Above The Law : The Chronic.