C.V.E. – Chillin Villains: We Represent Billions

C.V.E. – Chillin Villains: We Represent Billions

Les Californiens de C.V.E. ont beau avoir été au cœur de la scène Project Blowed, ils ont toujours été des dilettantes, des amateurs dont les sorties ont été bancales et mal agencées. Mais ils ont été influents, ils ont impressionné des gens. Et par deux fois, ils ont refait surface grâce à des admirateurs venus de cieux improbables. Emanation de la scène de rappeurs blancs du Maine dont vient aussi Sole d’Anticon, le label Milled Pavement les a aidés à sortir en 2010 un album à peu près digne de ce nom, Not Like Those. Et douze ans après, son fondateur Arlen Dilsizian étant fan, c’est au tour du label ougandais Nyege Nyege de rendre hommage à Riddlore et aux autres avec We Represent Billions, qui compile archives inédites et titres sortis sur Afterlife Recordz, tous enregistrés de 1993 à 2003.

Grâce à ces Africains, et si longtemps après les heures glorieuses du Good Life Café, nous voici donc replongés dans cette histoire alternative du rap californien représentée par l’école Project Blowed. En lieu et place du g-funk promu alors par la portion la plus visible de la West Coast, ces rappeurs-là restaient fidèles au son soutenu de l’électro hip-hop d’abord prisé à Los Angeles, comme en témoigne le tube « Let’s Get It On », « Made In Chillz Ville » avec ses sons synthétiques bizarres, ou bien, d’emblée, « All Over Da Globe », le titre manifeste de CVE, celui d’où l’album tire son nom :

Villainz we represent millions,
All over the globe,
Chillin’ ain’t done nothing,
But they want us under control.

Vauriens, nous représentons des millions,
Sur tout le globe,
« Chiller » ne fait rien de mal,
Mais ils nous veulent sous contrôle.

Ce refrain le laisse entendre : toute jouasse et ludique qu’elle fut, la musique de C.V.E. n’était pas dénuée de conscience sociale. Ce titre, en effet, est une protestation contre la criminalisation des Noirs et le délit de sale gueule. Il y a toujours eu de l’engagement chez ces gens, contre l’autorité, contre la brutalité policière. Plus que d’autres du côté du Good Life Café, à travers certains de leurs standards comme « Thugs And Clips », présent ici, ou de ce « Let’s Get It On » rythmé par des explosions et des détonations, ils ont aussi toujours dégagé une odeur du soufre, celle du ghetto.

Mais ce qui distingue avant tout C.V.E., la carte maitresse de Riddlore, NgaFsh, Tray-Loc et de leurs associés, ce qu’on retient le mieux de leur art, ce sont leurs flows, techniques, malléables, complexes, imprévisibles, prompts à d’invraisemblables accélérations comme sur le soutenu « Bring It On », et néanmoins mélodiques. C’est une démarche expérimentale, comme sur « Made In Chillz Ville » où, sur des sons étranges, les protagonistes s’aventurent à rapper les uns par-dessus les autres.

C.V.E., c’était l’âpreté du rap de rue tout comme les audaces stylistiques de l’underground. C’était du hip-hop à la fois gangsta et arty, bien avant que Kendrick, un admirateur revendiqué du Project Blowed, n’accorde à son tour ces deux termes d’apparence antonymiques. C’était du rap arrivé bien trop tôt, à une époque qui n’était pas prête. Espérons que cette initiative de Nyege Nyege le rappelle.

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The Notorious S.Y.L.V.

The Notorious S.Y.L.V., a.k.a. Codotusylv, écrit sur le rap et tout un tas d'autres choses depuis la fin des années 90. Il fut le fondateur des sites culte Nu Skool et Hip-Hop Section, et un membre historique du webzine POPnews. Il a écrit quatre livres sur le rap (dont deux réédités en version enrichie), chez Le Mot et le Reste.

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