DAVE – Psychodrama

L’album Psychodrama a été numéro 1 en Grande-Bretagne, une conséquence de l’engouement né dans son pays natal pour David Orobosa Omoregie, dit Dave, après ses premiers freestyles, avec Six Paths en 2016, puis avec Game Over l’année suivante. Mais cette sortie ne fait pas que convaincre les compatriotes de l’Anglais. Elle bénéficie, aussi, d’un intérêt marqué sur l’autre rive de l’Atlantique.
Elle n’est pas la première, il est vrai. Depuis plusieurs années, Stormzy, Skepta et quelques autres ont capté cette même attention. Mais contrairement à eux, Dave n’est pas un rappeur grime. Avec une poignée d’autres comme Fredo et J Hus, il renoue avec une autre tradition. Comme le London Posse, The Brotherhood ou Jehst à des époques différentes, plutôt que de représenter un genre purement national, cette nouvelle génération se contente de donner des couleurs spécifiques (accents anglais, références locales, voire tropisme jamaïcain) au modèle nord-américain. Kendrick, J. Cole, Drake (lequel a coopté l’Anglais par le biais d’un remix de « Wanna Know ») sont des rappeurs auxquels Dave a été comparé. Comme le premier, il donne dans ce rap adroit et raisonné qu’apprécie la critique. Il prend aussi les postures fétiches du hip-hop adulte : l’engagée et l’introspective.
Dans le premier de ces registres s’illustre « Black », une dissertation sur sa couleur de peau dont Dave a eu l’audace de faire un single. Sur ce titre, qui a provoqué le début d’un débat passionné quand il est passé sur les ondes de Radio One, il conspue le deux poids deux mesures dont souffrent les hommes de couleur. Toutefois, souhaitant rendre compte de sa diversité, il conteste aussi le caractère homogène de l’identité noire et il dénonce la façon dont l’ont préemptée les Afro-Américains. Et sur « Lesley », un plat de résistance long de onze minutes, il est question avec un pathos maîtrisé d’une femme enceinte que son compagnon maltraite. Dave y enjoint de telles victimes à se faire aider.
Dave apporte sa perspective, qu’il confronte à celle des gens extérieurs à son monde, les Blancs surtout, sur « Environment ». Mais il sermonne peu, et c’est par l’intime qu’il traite des sujets graves. Et s’il en parle si bien, sans les platitudes moralistes qui invalident tant de rappeurs « conscients », c’est qu’ils le touchent de près, qu’ils se rapportent à son vécu. C’est pourquoi, sur « Drama », il fait témoigner un grand frère qui, dans son foyer, s’était substitué à un père absent avant de finir en prison. C’est ainsi, sur « Streatham », qu’il nous parle de l’endroit où il a grandi, un lieu livré aux rivalités des bandes et à la tentation de la drogue. Et il récidive sur « Screwface Capital », un portrait du Londres dont il est le produit. Les problèmes dont il parle ont une teneur biographique.
Ce qui nous amène à l’autre grand sujet de Psychodrama : les états d’âmes de Dave. Cet album concept, en effet, se présente comme une longue psychothérapie. Dès l’entame, « Psycho », un psychologue invite le dénommé David à se livrer, et celui-ci déroule le propos. Il se penche sur son cas, il évoque ses contradictions, il fait allusion à sa paranoïa et à ses troubles mentaux, il parle de ses ambitions. Dave passe par des moments de détresse et de tension, mais il se confie aussi de manière relâchée sur des morceaux mous tels que « Purple Heart », ou encore « Location » avec Burna Boy, des titres où il est également question d’amour et de filles. Commencée dans les tourments, cette longue catharsis qu’est Psychodrama se termine même par une note d’espérance, quand le rappeur envisage son futur avec optimisme, et que son frère le désigne comme l’élu de la famille.
Comme l’indiquent sa structure (« Psycho » est le premier morceau, « Drama » le dernier) et les propos du psy qui commente les progrès de son patient, cette œuvre a un début et une fin. Produit sous la double férule de Fraser T. Smith (qui a contribué aux succès d’Adele et de Stormzy) et de Dave lui-même (dont on entend les talents de pianiste et le goût prononcé pour les musiques de film), c’est un album professionel et abouti. Il renoue avec une vieille tradition anglaise : il ne se contente pas de suivre le modèle américain, il le transcende, il l’améliore, il le rend même irrésistible. Kendrick , J. Cole et Drake, avons-nous dit plus haut : il s’en faut de peu que Dave soit plus satisfaisant qu’eux.