THE ZOMBIES – Odessey & Oracle

Comparé d’autres groupes de la British Invasion des années 60, l’impact des Zombies est d’abord mesuré : deux tubes en 1964 et 1965, « She’s Not There » et « Tell Her Now », et deux albums seulement, dont le premier est une compilation plutôt qu’une œuvre. Et quand un troisième single, « Time Of The Season », connait un succès phénoménal en 1969, les Anglais se sont déjà séparés.
C’est une carrière en demi-teinte qu’ils ont connue. Après leur premier album, le label Decca ne souhaite pas rempiler avec le groupe de St Albans, dans la banlieue de Londres. S’ils en rejoignent alors un autre, CBS, et que ce dernier leur ouvre le studio d’Abbey Road, le budget qu’il leur laisse est modeste, obligeant les musiciens à couvrir de leur poche l’enregistrement en stéréo de leur nouvelle œuvre. Et puis, une fois l’affaire close, ses deux chanteurs et principaux membres partent dans des directions opposées : Rod Argent lance un groupe appelé… Argent, et Colin Blunstone continue à faire entendre sa jolie voix douce sur des albums solos, plutôt bons, dans une veine soft rock.
Mais entretemps, décennie après décennie, monte la cote critique de ce dernier album. Malgré les conditions de sa sortie et la vilaine coquille de son titre (« Odyssée » s’écrit « Odyssey »…), Odessey & Oracle acquiert sur le tard un statut de classique absolu du rock psychédélique et baroque de l’époque. Et l’on découvre que « Time Of The Season », qui le clôt magistralement, n’est pas la seule pépite de ce disque. Qu’en vérité, il ne recèle que ça : des bijoux, des merveilles, la musique du ciel.
En 1968, cet album est de son époque. Il est dans la lignée de Pet Sounds et de Sgt. Pepper avec son travail de studio, ses jolies mélodies de poche et derrière l’apparente simplicité des chanson, sa sophistication influencée par le classique et le jazz. On y trouve l’attirail de l’époque, Mellotron en tête. Aussi, tout comme les classiques cités plus haut, Odessey & Oracle est dépourvu des horribles « rockismes » et de la posture rock’n’roll que les générations post-punk et indie pop auront en horreur. Cela lui vaudra vingt ou trente ans plus tard la grande faveur de ces dernières. Logiquement, suivront des reformations, ainsi que de somptueuses rééditions, avec force morceaux bonus.
Sur CD, le disque laisse beaucoup de place à de tels ajouts, Odessey & Oracle étant très court. Mais si ces additions confirment souvent l’excellence des Zombies, elles gâchent un peu la fête. Odessey & Oracle, en effet, est un vrai album, il se déguste dans son entier, sur trente-quatre petites minutes d’extase. Et si les bonus sont très bons, la matière principale, elle, est absolument extraordinaire.
Le peu d’intérêt que leur a accordé CBS, lors de l’enregistrement, s’est avéré une bénédiction : laissés à eux-mêmes, sans producteur pour leur dire comment s’y prendre, les Zombies ont contrôlé leur art. Il en est résulté une merveille d’harmonies vocales à la Beach Boys, de mélodies charmantes réalisées avec des instruments désuets et de mélancolie profonde derrière la naïveté des sentiments.
Les Zombies, de prime abord, interprètent des chansons d’amour banales : espoir ténu d’un retour de l’être cher (« Maybe After He’s Gone ») ou ode aux amis (« Friends of Mine »). Ils font preuve d’une grosse dose de nostalgie. Nostalgie pour l’endroit des premières passions (« Beechwood Park »). Nostalgie pour un moment de rêve évanescent, celui du mouvement hippy sans doute (« Hung Up On A Dream »). Ou bien, à la « Caroline, No », nostalgie pour un amour d’enfance qui a grandi trop vite (« Changes »). Quant au tube « Time Of The Season », avec ses claps et ses soupirs, il est un hymne à la libération sexuelle. Et tout cela est, en effet, de saison. Dans l’esprit du temps.
Cependant, à de nombreuses reprises, pointent le doute, l’ironie. L’amour est fugace, semblent nous signifier les Zombies, il n’est qu’une illusion. « I Want Her She Wants Me » par exemple, sous ses airs joyeux de chant d’amour partagé, laisse entendre que les romances finissent mal, en général. Le groupe excelle à créer des morceaux doux-amers, où s’enchevêtrent la joie et la tristesse. « Brief Candles » en est une superbe illustration, avec sa musique tout à la fois mélancolique et extatique.
L’angle d’attaque est parfois même très particulier, comme avec le premier titre, « Care Of Cell 44 », où le narrateur chante son amour pour une dulcinée retenue en prison, ou avec le suivant, « A Rose For Emily », à propos d’une femme morte dans la solitude (dans la nouvelle de William Faulkner dont la chanson s’inspire, l’Emily en question a tué et conservé le corps de son premier soupirant…). Et puis il y a cette curiosité, cette anomalie presque : « Butcher’s Tale (Western Front 1914) » est le produit de la fascination de Chris White, le bassiste, pour la Première Guerre Mondiale. Sur un orgue oppressant, d’une voix déchirante, y sont dépeintes les horreurs des tranchées. Et c’est totalement bouleversant.
Comme l’intégralité de ce disque. Car s’il y a eu des groupes plus importants que les Zombies dans l’incroyable Angleterre des années 60, et que leur art a donné lieu à de nombreuses autres œuvres absolument phénoménales, peu d’albums ont été aussi bons que Odessey & Oracle. Voire aucun.