DAVE – We’re All Alone In This Together

DAVE – We’re All Alone In This Together

Dave est le Kendrick anglais. Cette comparaison n’est pas neuve, mais elle reste pertinente, à l’heure où le second album du Londonien reçoit les mêmes éloges que le précédent. Certes, leurs musiques et leurs styles sont différents. Un océan les sépare : ce n’est ni le même terreau, ni la même histoire. Mais l’un et l’autre, dans leurs pays respectifs, sont le produit d’un rap arrivé pour le meilleur et pour le pire à l’âge adulte. C’est un rap qui profite du soutien et de la reconnaissance de l’establishment culturel, via un Pulitzer pour l’Américain et un Mercury pour le Britannique, entre autres breloques.

Les deux hommes ont en commun de privilégier la posture respectable et présentable du « rappeur conscient », mais sans rien renier du substrat gangsta. Au contraire, ils les concilient, le registre du bandit étant contextualisé et légitimé par un discours social. Sur We’re All Alone In This Together, certes, Dave adopte une approche moins conceptuelle que sur l’opus précédent. Il s’agit d’un album moins homogène que Psychodrama, qui se présentait comme une longue psychothérapie. Quelques titres, notamment, sont de purs égo-trips de parvenus se vautrant dans le luxe, des hymnes fiers et hédonistes, comme le single « Clash », ou bien « Verdansk ». Mais l’engagement social est toujours là.

Avec le premier morceau, « We’re All Alone », tout comme avec le dernier « Survivor’s Guilt », Dave joue de la vieille scie des rappeurs à succès : sa réussite au fond, n’aurait rien changé. Sa famille est toujours aussi pauvre, il appartient toujours à la même société. Même si c’est autour de mets plus chers, il dîne toujours avec les mêmes gens. C’est bel et bien d’un milieu pauvre, dangereux et criminel dont il parle sur « In The Fire », avec une assemblée de rappeurs britanniques.

Comme le précédent, cet album traite de l’identité et de l’expérience des Noirs. Quelques mots de l’acteur Daniel Kaluuya y font allusion, ainsi que les pensées de Dave sur sa relation compliquée avec son ex blanche, sur « Survivor’s Guilt », et quelques vers au milieu de « Heart Attack », une longue réflexion sur fond de guitare acoustique qui occupe la même fonction que « Black » sur Psychodrama. Mais le sujet de Dave est cette fois bien plus vaste. Il est question du cas plus général des immigrés, à travers toutes les races, toutes les origines et toutes les époques. Sur « Three Rivers », il parle de ceux d’Europe de l’Est et du Proche-Orient, ainsi que du scandale de l‘Empire Windrush, ce navire qui avait déporté des hommes de la Caraïbe britannique pour apporter de la main d’œuvre à la métropole.

Sur We’re All Alone In This Together, Dave poursuit aussi ses confessions, notamment dans sa seconde partie, la plus introspective, la plus contemplative. Souvent, il évoque sa mère, laquelle, éplorée, partage son expérience d’immigrée nigériane à la fin de « Heart Attack ». Et puis il explore ce thème adulte par excellence, les relations avec les femmes. Des femmes auxquelles il rend hommage sur « Survivor’s Guilt ». Des femmes à qui il souhaite respect et émancipation, quand il laisse la rappeuse ShaSimone dire comment elle a mis fin à une relation toxique, lors du premier mouvement de « Both Sides Of A Smile ». Dave est plus direct que Kendrick. Ce qu’il nous offre, c’est un journal intime à deux doigts de la niaiserie, plutôt qu’un rap à tiroirs. Mais comme lui, il est un bon garçon.

Les deux hommes ont un autre point commun. Tous deux sont des artistes, pas des rappeurs de genre. Ils optent pour un rap post-moderne, un rap d’après l’histoire, où plusieurs styles et plusieurs époques de musiques noires se superposent et s’entremêlent. Le single « Clash » en est la preuve, où un rappeur plutôt classique (Dave) s’allie avec un grand nom du grime (Stormzy) sur un morceau de UK drill. Sur un sample de gospel, le titre suivant « In The Fire » rassemble aussi plusieurs écoles de rap anglais, à travers Meekz, Giggs, Ghetts et l’ami Fredo.

Dave brasse large. Il importe de son Nigéria d’origine les sons afrobeats et alté, en invitant WizKid sur le très léger « System », puis BOJ sur le refrain en Yoruba de « Lazarus ». Il convie aussi les chants soul / R&B de Snoh Aalegra sur la romance fadasse de « Law Of Attraction », et ceux, évanescents, de James Blake sur « Both Sides Of A Smile ». Et puis il y a bien sûr ces grandes plages méditatives au piano jouées par le rappeur, sa marque de fabrique. Cette aspiration à la grande culture transparait dans la pochette, inspirée probablement par Impression, soleil levant, le tableau de Claude Monet.

Comme avec Kendrick, on ne sait jamais quel qualificatif s’applique à cette musique de premier de la classe. Est-ce sincère ou est-ce téléphoné ? Est-ce ambitieux ou prétentieux ? Est-ce de l’émotion pure ou de la sensiblerie ? Est-ce génial, ou exaspérant ? Tout à la fois, sans doute. Sur We’re All Alone In This Together, en effet, nous naviguons du passable au magnifique. Le meilleur de Dave se manifeste souvent dans les moments les moins attendus, comme ce « Twenty To One » chanté par le rappeur. Il a beau sortir les violons, le piano et les chants féminins évaporés, sous un long déluge de contrition et de bons sentiments, c’est pour de vrai, le plus souvent, de la belle musique.

Acheter cet album

The Notorious S.Y.L.V.

The Notorious S.Y.L.V., a.k.a. Codotusylv, écrit sur le rap et tout un tas d'autres choses depuis la fin des années 90. Il fut le fondateur des sites culte Nu Skool et Hip-Hop Section, et un membre historique du webzine POPnews. Il a écrit quatre livres sur le rap (dont deux réédités en version enrichie), chez Le Mot et le Reste.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *