RUFF SQWAD – Guns ‘N’ Roses Vol. 1

Le grime, cette dimension parallèle au rap, apparue en Angleterre sur les cendres de la rave culture, a pu se résumer un temps en deux camps, deux collectifs, issus tous deux de East London. D’un côté, le Roll Deep crew, par lequel sont passées les stars comme son leader Wiley, ainsi que Dizzee Rascal et Skepta. Et de l’autre, le Ruff Sqwad, fondé un an plus tôt, en 2001, et souvent considéré comme le véritable pionnier du genre, comme l’écurie qui a abrité ses vrais innovateurs.
Tout commence à la fin des années 90, quand deux lycéens, David Nkrumah et Prince Owusu-Agyekum, alias Dirty Danger et Rapid, se mettent à jouer de façon presque accidentelle avec FruityLoops. A l’aide du fameux logiciel, ils composent des morceaux accompagnés de raps, et ils trouvent le chemin de radios pirates telles que Rinse FM, qui deviendront le creuset de ce genre musical. Fédérant autour d’eux des gens tels que Shifty Rydos, Slix et, pour le plus connu, Tinchy Stryder, tous d’origine africaine, ils fondent alors le Ruff Sqwad. Celui-ci prend d’abord une tournure amatrice, jusqu’à ce que l’engouement pour le grime les mène à fonder Ruff Sqwad Recordings, un label sur lequel sortent des singles et puis, en 2005 et 2006, les deux mixtapes Guns ‘N’ Roses.
Projet commun long format longtemps attendu, la première édition en décontenance pourtant certains. D’abord, elle s’écarte un peu du son propre au collectif, de son goût pour les mélodies et pour les grosses guitares. Aussi, alors que le grime fait la promesse d’une musique 100% anglaise, les MCs de Ruff Sqwad rappent parfois sur les sons chipés à leurs collègues américains, comme Ludacris et Black Rob. Ce tropisme étatsunien, certains auraient bien voulu l’ignorer, les Britanniques par chauvinisme culturel, les Américains par envie d’exotisme. Mais il a toujours existé avec le grime.
Car celui-ci demeure, à la base, une forme de rap, et Guns ‘N’ Roses en témoigne. La diction des MCs vient de là, malgré leurs accents anglais et leurs influences jamaïcaines. Les postures aussi, qui sont celles de mauvais garçons arrogants, amateurs de filles et de confrontations brutales. De même que le caractère populiste de ce genre, celui-là même qui fait tout son attrait et qui le distingue, au début des années 2000, de ces musiques électroniques devenues l’apanage des esthètes et des laborantins.
Ce populisme rap, le Ruff Sqwad le perpétue, tout en lui adjoignant l’héritage et les expérimentations de quinze années de musiques électroniques en Angleterre. « 1999 » ramène dans le ghetto les voix féminines autrefois entendues dans les rave parties. Les flows trépidants et les cuivres synthétiques de « Future » en font un titre puissant. « Jampie » démontre qu’on peut tout recycler, en jouant d’une mélodie chinoise. « Ice Cream » concilie des sons électroniques aléatoires et démembrés à des chants plus dancehall qu’autre chose. Et le somptueux « Jennifer » déploie des raps et des sons martiaux à souhait. Bref, c’est du grime, du pur et dur, dans toute sa splendeur et toute sa diversité.
Né dans la rue, épanoui dans les clubs et sur les radios pirates, le grime est avant tout un genre à singles. Par ailleurs, au milieu des années 2000, les mixtapes ne sont pas encore devenues des albums de substitution. Aussi Guns ‘N’ Roses Vol. 1 n’a-t-il ni la constance ni la finition d’un vrai projet. Y préside un esprit très do-it-yourself. Mais il profite de l’énergie des nombreux MCs conviés, des affiliés au collectif aux invités externes comme Wiley, et d’une qualité de production qui a toujours été propre à Rapid et Dirty Danger. Par ailleurs, ceux gênés par son contenu inégal se satisfairont de l’édition de 2007, qui substituera aux titres les plus anodins les morceaux d’anthologie « Anna », « Together », « Cuckoo » et « Timm », transformant en classique un grand moment du grime.