BUCK 65 – Square

BUCK 65 – Square

Ceux présents au premier concert de Buck 65 en France, il y a six mois à Paris, se souviennent de cet étonnant one man show au cours duquel le Canadien a déclamé ses fantaisies et ses élucubrations sur fond de bandes pré-enregistrées, dans un mélange de théâtralité touchante et de fausse naïveté. Ils n’ont pas oublié non plus les instrus inédites qu’il a dévoilées, parmi des réminiscences de Vertex et de Man Overboard, annonces prometteuses de son prochain album, le premier chez une major.

Cet album, le voici, et il s’intitule Square. « Carré », car son but est de marquer son appartenance à un ensemble de quatre disques, la série Language Arts, entamée il y a quelques années après l’album des Sebutones. Et comme pour mieux souligner ce fameux chiffre 4, Buck 65 a partagé l’espace alloué en quatre plages de longueurs à peu près égales (la durée d’une face de 33 tour), nommées « Square » 1, 2, 3 et 4, et de ce fait aussi anonymes que les morceaux sans titre de Man Overboard

Toutefois, l’album ne se résume pas à des morceaux alambiquées et interminables. Avec chacun de ces « Square », le rappeur et beatmaker nous offre plutôt quatre suites de chansons courtes, mixées à la suite des autres, séparées par des scratches ou transitions instrumentales, et accompagnées perpétuellement par une voix à la Tom Waits qui n’a cessé de se voiler depuis l’époque Sebutones.

De fait, l’exercice est très similaire au spectacle proposé par Buck 65 lors de son premier concert parisien. Avec Square, il donne l’impression d’avoir d’abord assemblé une mixtape rêvée, purement instrumentale, avant de divaguer dessus à son aise. Toutefois, l’impression d’ébauche qui domine à la première écoute de Square, renforcée par cette pochette bizarre griffonnée en noir et blanc, se dissipe rapidement. Buck 65 n’a pas bâclé son premier album en major. Oh que non !

Chaque moment des quatre plages, chaque micro-chanson, est une perle, la marque de l’inventivité intarissable et hors-du commun d’un homme livré à lui-même ou presque (quelques autres, dont DJ Signify, lui ont tout de même prêté main forte). Quand certains tentent désespérément d’insérer une seule idée véritable sur la longueur d’un album, le Canadien les enfile. Il les additionne, les collectionne, insolent de facilité, puis il prend à peine le temps de les développer et de les faire durer.

Prodigalité et éclectisme sont les deux caractéristiques de la musique de Buck 65, et cette fois plus que jamais. Des scratches et de l’orgue d’église qui inaugurent la première plage, à une splendide guitare acoustique quelques dizaines de secondes plus tard, d’un piano entêtant sur le titre suivant à quelques touches électroniques de-ci de-là, l’auteur trouve sans cesse la boucle qu’il faut et les notes qui font mouche, l’écrin finement ciselé qui accompagne le mieux ses inépuisables registres. Les thèmes ont la même diversité heureuse et pertinente, le rappeur assemblant paroles cocasses (« food puts me in a good mood », sur la plage 4), sentences (« science is all of the above » toujours sur la 4), mélancolie (« her name reminds me of the stars » sur la 3) et bien d’autres sentiments encore.

Mais trève de mots et de détails. Pour vous, tout reste encore à découvrir. Il vous faudra digérer et venir à bout de chacune de ces quatre plages qui contient en elle seule la créativité d’un album entier. Pour la plupart des autres, en revanche, c’est déjà acquis : Buck 65 est le plus grand.

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The Notorious S.Y.L.V.

The Notorious S.Y.L.V., a.k.a. Codotusylv, écrit sur le rap et tout un tas d'autres choses depuis la fin des années 90. Il fut le fondateur des sites culte Nu Skool et Hip-Hop Section, et un membre historique du webzine POPnews. Il a écrit quatre livres sur le rap (dont deux réédités en version enrichie), chez Le Mot et le Reste.

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