GOODIE MOB – Soul Food

Goodie Mob a vécu dans l’ombre d’Outkast, sans connaître son destin glorieux. Autant que de les lancer, leur présence sur le premier album des deux autres, Southernplayalistcadillacmusic, les aura présentés comme une doublure. Plus tard, en cette fin des années 90 où Big Boi et Dré partiront à la conquête du grand public, l’autre grand groupe rap d’Atlanta manquera sa tentative de séduction avec World Party. Et malgré leur positionnement crossover, les albums solo de Cee-Lo n’atteindront pas non plus leur cible. Il faudra attendre 2006 et le single « Crazy » de Gnarls Barkley pour que le membre le plus notable des Goodie Mob rencontre enfin le succès, pendant que ses anciens compères peineront à préserver ce qu’il reste du groupe, dans une indifférence presque générale.
Et pourtant, le premier chef d’œuvre du Dirty South est bel et bien un disque de Goodie Mob, et non pas un Southernplayalistcadillacmusic certes excitant, mais inégal. Le premier vrai classique du rap du Sud, c’est le bien nommé Soul Food. Celui-ci n’annonce pourtant en rien la tournure populiste que prendra le hip-hop du Sud, bien au contraire. Comme son nom l’indique, comme sa pochette le montre avec ces hommes noirs en plein recueillement, Soul Food est un disque spirituel. Il s’inscrit dans la Great Black Music du temps du combat pour les Droits Civiques, et il partage avec la soul des racines religieuses, puisqu’il est permis d’y prier (« Serenity Prayer ») et d’y prêcher (« Fighting »).
Même si une ode à la weed y trouve sa place (« Goodie Bag »), Soul Food ne donne pas dans le rap outrancier et le matérialiste éhonté, mais bel et bien dans un hip-hop « conscient », soucieux de rendre compte de la vie dans la rue et dans le ghetto (l’admirable « Cell Therapy », « Sesame Street », « The Coming »), de questionner le système pénal (« Live at the O.M.N.I. »), d’appeler à se battre (« Fighting ») ou de rendre un vibrant hommage à une mère dévouée (« Guess Who »).
Khujo, T-Mo, Big Gipp, et surtout Cee-Lo avec sa voix éraillée si caractéristique, savent se fondre dans un flow agressif, mais pas que. Ils peuvent aussi se faire posés, et enchainer les passages chantés. Et puis bien sûr, il y a la production délicate d’Organized Noize, sophistiquée mais vintage, organique, avec cette couleur soul / funk réminiscente de l’illustre label Stax, toute en orgues chaleureuses (« Thought Process », « Sesame Street »), en percussions subtiles (« Live At The O.M.N.I. »), en cordes (« I Didn’t Ask To Come ») et en chœurs gospel (« Free », « Soul Food », le très mélodique « The Day After »). Ce qui se révèle ici, c’est une formule d’un faux calme, d’une paix lourde de menace, d’une perfection que l’on entendra aussi, un peu plus tard, sur le ATLiens d’Outkast.
Alors non, cet album qui, en 1995, donnera son nom au rap sudiste avec « Dirty South », un autre de ses grands titres, ne ressemble pas aux styles exubérants que le terme désignera très bientôt. Il est néanmoins l’un de ses premiers chefs d’œuvre.