THE WALKABOUTS – Satisfied Mind

Ils étaient déjà là, Chris Eckman, Carla Torgerson et les autres, à la fin des années 80, quand Sub Pop n’était qu’un label méconnu et qye le grunge n’avait pas encore submergé le monde. Leur présence était logique, puisqu’ils venaient aussi de Seattle, avec un bagage musical punk. Toutefois, les Walkabouts n’ont jamais rien eu d’un groupe à la Mudhoney ou à la Nirvana. Ils ont délivré des chansons plus calmes, profondes et traditionnalistes. Ils ont été de ceux qui, revenant aux sources de la musique populaire des Etats-Unis, ont lancé le vaste mouvement americana de la décennie 90, cette grande réappropriation des formules folk et country par la génération venue du rock alternatif.
Satisfied Mind est, à égalité avec Devil’s Road, l’album de référence du groupe. Il y réinvestit des standards country, parfois déjà maintes fois repris, comme ce « A Satisfied Mind » éponyme, de Joe Hayes et Jack Rhodes. Mais il explore aussi des choses légèrement plus modernes, comme un titre du plus grand des Oyseaux, Gene Clark, et d’autres de John Cale, voire de Patti Smith. Et il ne s’inspire pas que de ses compatriotes. Outre le Gallois du Velvet Underground, il reprend les Australiens Robert Foster et Nick Cave (dont, il est vrai, on connaît la fascination pour le terroir américain). Avec tout cela, les Walkabouts réalisent un immense disque de reprises. L’un des meilleurs qui soient.
Le groupe s’approprie si bien les originaux, qu’ils ressemblent à ses propres morceaux. Un exemple est le « Loom Of The Land » de Nick Cave. Dans l’interprétation de Carla Torgerson se reconnait la plume, et parfois même la diction, du sombre Australien, mais l’ambiance gothique qui lui est propre s’évanouit pour céder la place à un faux standard country. Un autre est le morceau de cowboy « Lover’s Crime », de Pee Wee Maddux, qui se voit donner un sérieux coup de jeune. Plus saisissante encore, est la métamorphose subie par « Free Money ». Avec le renfort d’un des musiciens originaux de Patti Smith, Ivan Kral, ce titre de la poétesse punk se transforme en un long orage lancinant.
Satisfied Mind est une jolie collection de chansons augmentées de guitare acoustique, slide ou électrique, de piano, de violon, de violoncelle, d’orgue, de tambourin, d’harmonica ou de banjo, voire de cette mandoline qui a réussi à Peter Buck sur « Losing My Religion », et que le membre de R.E.M. vient rejouer deux fois pour ses collègues de Seattle. Ce sont des histoires d’adultère et d’amours brisés, faites d’une sagesse populaire résignée, comme avec le thème « la richesse ne fait pas le bonheur » de « Satisfied Mind », et qui évoquent ici et là l’image d’une Amérique rurale et éternelle.
Ce sont aussi les voix du chanteur et de la chanteuse, qui alternent ou se complètent tout au long de l’album. Ce sont ces instrumentaux spacieux et ces solos grâcieux qui illuminent des passages tels que la merveilleuse reprise de la Carter Family, « The Storms Are On The Ocean ». C’est aussi le renfort de la voix rauque de Mark Lanegan sur ce temps fort qu’est le long crescendo de ce « Feel Like Going Home » emprunté à Charlie Rich, et chanté en un duo splendide avec Carla Torgerson.
Ils étaient si différents des autres, les Walkabouts, que ce groupe si ancré dans la tradition musicale américaine n’a pas été prophète en son pays. Bizarrement, c’est sur le Vieux Continent, plutôt que chez eux, qu’ils ont rencontré le succès critique, et parfois même commercial. En conséquence leur prochain album de reprises, Trains Leave At Eight, prendra une couleur européenne avec ses interprétations de Mikis Theodorakis, Goran Bregović, Françoiz Breut, Stina Nordenstam et Jacques Brel, complétant ce chef d’œuvre encore méconnu de la musique américaine qu’est Satisfied Mind.