YOUNG THUG – So Much Fun

YOUNG THUG – So Much Fun

Aujourd’hui, le concept de premier album est devenu le contraire exact de ce qu’il était censé dire. Difficile, en effet, de qualifier So Much Fun comme tel. Cette sortie survient au terme d’une décennie rap dont Young Thug aura été l’un des acteurs majeurs, et qu’il aura abondamment fourni en projets remarquables. Tout aura commencé dès 2011, avec ces trois I Came From Nothing où son style était encore en gestation. Puis en 2013, il y eut le grand 1017 Thug, la mixtape de la révélation, où éclatait au grand jour la créativité folle du personnage. Suivirent les collaboratifs Black Portland, Young Thugga Mane La Flare et Tha Tour, Pt. 1, puis la sortie de la consécration, Barter 6. Sont venus après la prolifique série des Slime SeasonJeffery, puis ce Beautiful Thugger Girls où il se calmait encore, où il s’assagissait, où il devenait plus pop. Et encore, ceux-là n’ont été que ses projets les plus signifiants.

So Much Fun, donc, n’a rien d’un premier album. Au contraire, il est une fin, l’aboutissement d’une longue maturation, le stade ultime d’une suite de transformations au terme desquelles Thugger, longtemps trop créatif, cinglé et atypique pour séduire le grand public, peut enfin lui offrir une face présentable, après avoir commencé à l’amadouer en collaborant avec Post Malone et Ed Sheeran.

Plus sage que ses prédécesseurs, conçu très proprement avec J. Cole comme producteur exécutif, plus professionnel, plus conventionnel aussi, renforcé par ces nombreux featurings caractéristiques des albums commerciaux (parmi lesquels des disciples comme Gunna, Lil Baby et Lil Keed), parfois très sobre, comme avec les quelques notes de guitare de « Just How It Is », cet album s’émancipe de l’esthétique mixtape des projets précédents. Ce qui semble réussir à Young Thug, puisqu’il s’agit ici de son premier numéro 1 aux Etats-Unis.

Le Thugger d’avant, cet homme à la jonction du rap fantasque d’André 3000, des absurdités irrésistibles de Gucci Mane et des acrobaties verbales hallucinées de Lil Wayne, est pourtant toujours là. Il emploie toutes ses innovations des dernières années. On l’entend jouer des onomatopées et de sa voix haut-perchée sur « Sup Mate », et rapper comme s’il avait abusé des drogues récréatives qu’il exalte sur « Ecstasy » (avec Machine Gun Kelly) et sur une poignée d’autres titres. Son phrasé est toujours aussi versatile, il franchit les octaves comme si de rien n’était, il change de voix en cours de route sur « Cartier Gucci Scarf », ainsi que sur le conclusif et prééminent « The London », tout cela pour déclamer des paroles dont il est parfois le seul à saisir le sens (si tant est qu’elles en aient un).

C’est le même Young Thug qui est à l’oeuvre. Ce grand chien fou d’autrefois a juste été domestiqué, apaisé, apprivoisé, et cela nous donne quelques regrets. On préférait quand Thugger nous surprenait à chaque nouvelle sortie, à chaque nouveau morceau. La bonne nouvelle, cependant, c’est qu’on l’aime toujours, maintenant qu’il nous surprend à ne plus nous surprendre.

So Much Fun, au bout du compte, est rempli de bons moments. « Sup Mate » est un grand numéro de ping-pong verbal avec Future, l’autre grande figure de l’après trap music. « Lil Baby », l’une des multiples auto-célébrations de Young Thug, bénéficie d’une grande production de Pi’erre Bourne. « Jumped Out The Window » raconte délicieusement comment il échappe à la police. « Hot », avec Gunna, est l’un des tubes de cette sortie dont l’objet est de célèbrer calmement le plaisir de prendre du bon temps. Le lubrique « Big Tipper » est une collaboration réussie avec l’élève Lil Keed, et celles avec Quavo (« Circle Of Bosses ») et Nav (« Boy Back »), bénéficient l’une comme l’autre du joli son d’une guitare.

On ignore encore si ce « premier album » est la fin de Young Thug ou le début d’une nouvelle ère fabuleuse (après tout un autre album, Punk, est paraît-il déjà dans les tuyaux). Mais si in fine, c’est l’option la plus probable qui prévaut, la première, alors So Much Fun aura été une belle conclusion.

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The Notorious S.Y.L.V.

The Notorious S.Y.L.V., a.k.a. Codotusylv, écrit sur le rap et tout un tas d'autres choses depuis la fin des années 90. Il fut le fondateur des sites culte Nu Skool et Hip-Hop Section, et un membre historique du webzine POPnews. Il a écrit quatre livres sur le rap (dont deux réédités en version enrichie), chez Le Mot et le Reste.

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