XXXTENTACION – ?

XXXTENTACION – ?

Celui auquel XXXTentacion a le plus souvent été comparé n’est pas un rappeur, mais Kurt Cobain, une influence qu’il a d’ailleurs revendiquée. Comme le leader de Nirvana, Jahseh Onfroy est une idole générationnelle. Les plus jeunes se sont reconnus dans son mal-être, exposé crument et sans détour dans ses titres. Tandis que l’homme de Seattle a été la figure tragique de tout un mouvement, le grunge, le Floridien d’origine jamaïcaine a été, à partir du morceau « Look at Me », celle de la vague Soundcloud, le plus éminent de ses rappeurs dépressifs aux visages tatoués et aux cheveux colorés.

L’époque, certes, a changé. Ses démons sont ceux du rap : instabilité, délinquance et violence, comme le montrent alors les innombrables faits divers et les polémiques qui l’entourent, notamment l’agression scandaleuse de sa compagne, alors enceinte. Mais le malaise qu’il exprime, cette face cachée du rêve américain qu’il expose, sont similaires à celle du chanteur des années 90.

A cause des paroles, de la posture et du statut, la comparaison s’impose. Elle est visible aussi dans la musique. Car XXXTentacion ne s’est pas limité au rap. On entend chez lui les mêmes cris, les mêmes guitares et les mêmes distorsions que chez les rockeurs grunge. Ces influences hétérodoxes sont très visibles sur 17, son album manifeste, le premier sorti après son contrat avec Empire Distribution en 2017, un grand succès, et aujourd’hui un classique (n’en déplaise aux vieilles badernes qui, à sa sortie, n’ont pas su appréhender ce projet bâtard). Et sur le suivant, ? (ou Question Mark), le rappeur met les bouchées doubles. Il s’agit en grande partie d’une réplique de son prédécesseur, mais plus longue, produite et étoffée, avec plus d’invités et une palette encore plus large de styles et de sonorités.

Les influences sont encore plus diverses, encore plus éclatées. Essentiellement produit par le Californien John Cunningham, l’album délivre ses morceaux sur le mode de l’indie rock (« ALONE, PART 3 », « NUMB »), du metal (« schizophrenia ») ou du punk emo (« Pain = BESTFRIEND », avec Travis Barker, le batteur de Blink-182.). Son interprète s’exprime sur des complaintes au piano (« Changes ») ou à la guitare acoustique (« the remedy for a broken heart », « love yourself »), avec des hurlements (« Floor 555 »), voire sur une mélodie latine ou caribéenne (« I Don’t Even Speak Spanish Lol »). Et même quand il se limite au rap, il passe d’un bon vieux boom bap à la sauce jazz (« Infinity (888) », avec le revivaliste en chef Joey Bada$$), aux bizarreries de l’après trap music sur l’emblématique single « Moonlight », sur « SMASH! » avec PnB Rock, ou sur le dérangé « $$$ », avec le rappeur de Philadelphie Matt Ox, alors âgé de même pas quatorze ans.

Cet éclectisme radical est le reproche le plus souvent adressé à l’album. Après ses frasques et ses violences, il est le prétexte le plus commode pour rejeter XXXTentacion. Pourtant, le rappeur a prévenu dès la première plage : il faudra ouvrir son esprit pour l’apprécier.

Dans la même adresse, il annonce aussi que cet opus, en dépit de sa versatilité, a un fil conducteur : il est une confession sans filtre, une fenêtre sur son intimité. Et de fait, ces morceaux courts bigarrés qui s’enchainent, traduisaient tous les tourments de l’adolescence. On y entend de la douleur, de la rage vengeresse et un sentiment d’anéantissement. XXXTentacion y parle de son appétit sexuel, de sa dépression et de ses envies suicidaires, de sa détresse sentimentale et de ses peines de cœur qui ne guérissent pas, causées par sa rupture avec Geneva Ayala, celle-là même, détail malsain et perturbant, qu’il a frappée. Il évoque aussi cette solitude dont il a tatoué le nom sur son visage. Il l’a exprimée déjà des années plus tôt sur « al.one », et il délivre ici une nouvelle suite à ce morceau, avec « ALONE, PART 3 ». Enfin, tout cela s’achève sur un autre morceau acoustique, par un apaisement de mauvais augure, et dont le titre, prémonitoire, est « before I close my eyes ».

Loin de gâcher l’album, l’éclectisme de XXXTentacion traduit au contraire toutes ses contradictions. Il rend compte de ses émotions chaotiques de jeune homme perturbé, du violent désordre intérieur de ce garçon qui peut être tout aussi prévenant que violent, comme quand il dédie « Hope » aux victimes récentes de la fusillade qui vient d’avoir lieu à Parkland, tout près de chez lui en Floride. Le public ne s’y trompe pas, qui fait alors de cet album un numéro 1 aux Etats-Unis et ailleurs, et de « Sad! » le premier single posthume à parvenir au sommet du Billboard depuis le « Mo Money Mo Problems » de Notorious B.I.G., en 1997.

Posthume, car trois mois après, à tout juste vingt ans, XXXTentacion s’est éteint, dans des circonstances qui montrent qu’il est bel et bien l’enfant de la génération rap. Contrairement à Kurt Cobain, et malgré ses pulsions suicidaires, il ne s’est pas ôté la vie : ce sont deux hommes armés qui s’en sont chargés, en s’emparant d’un sac Louis Vuitton rempli de billets. Mais tout comme l’autre, son décès provoquera une onde de choc auprès de toute une génération, ultime témoignage d’un statut unique et, il faut bien le dire, tout à fait mérité.

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The Notorious S.Y.L.V.

The Notorious S.Y.L.V., a.k.a. Codotusylv, écrit sur le rap et tout un tas d'autres choses depuis la fin des années 90. Il fut le fondateur des sites culte Nu Skool et Hip-Hop Section, et un membre historique du webzine POPnews. Il a écrit quatre livres sur le rap (dont deux réédités en version enrichie), chez Le Mot et le Reste.

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