LA FEVE – ERRR

Ne croyez pas les nostalgiques qui radotent à propos d’un âge d’or, survenu soi-disant dans les années 90. Le rap français, en vérité, c’est beaucoup mieux maintenant. C’est devenu si gros que, parfois, dans cette masse d’inepties et de musique pour enfant, on trouve des perles. Quand on mastique sans trop savoir pourquoi cette frangipane pâteuse, il arrive de tomber sur la fève.
La Fève. Quel drôle de nom a choisi ce garçon qui a grandi à Fontenay-Sous-Bois. Il dérive de son premier pseudo, Orfèv, un nom qui lui va tout aussi bien. Car c’est bien un travail d’orfèvre que délivre Louis Ambroise sur cet album (cette mixtape, prétend-il) qui a déjà marqué le rap français de la décennie présente. Suivant KOLAF, un EP bien reçu enregistré avec le producteur Kosei, il marque l’avènement d’une génération que certains appellent sa nouvelle vague, sa « new wave ».
Le rap français, ce miroir déformant de l’Amérique, aime inventer ses catégories propres, alors pourquoi pas la « new wave » ? La vérité, toutefois, c’est qu’il exploite toujours des formules éprouvées Outre-Atlantique, et le rappeur du Val-de-Marne ne déroge pas à la règle. Celui qui se rendra bientôt en pèlerinage à Atlanta puis s’arrogera les services de Zaytoven, a le regard tourné vers la métropole sudiste. Son style, c’est une après-trap music contemplative, mélodique et mélancolique, comme il y en eut là-bas, avec Future et les autres. C’est aussi une évolution du blues de dealer popularisé par PNL, auquel La Fève fait deux clins d’œil sur le titre « Voiture Sportive ». C’est une nouvelle version du rap de robot triste qui a dominé la décennie précédente.
Cependant, La Fève s’est bien approprié cela. Au-delà de cette pochette absconse et de ce nom bizarre censé évoquer le vomi (prétend-il sur « OTW »), la « mixtape » est remplie de ritournelles chantées avec évanescence, et néanmoins beaucoup d’adresse. Avec l’appui de Kosei, avec aussi Lyele Gwapo, Freakey et d’autres, sur des titres parfois enchainés (peut-être est-ce pour cela que ERRR prétend être une mixtape ?), La Fève contemple son existence et il déroule son spleen. Il évoque des rêves perdus de grandeur, une drogue qui ne rend pas heureux, des amis auxquels on ne peut pas se fier, avant de retrouver vigueur et volonté sur d’ultimes morceaux tels que « Kanye West ».
Et c’est d’autant plus puissant que le rap est là, tantôt brusque, tantôt lent, et que les mélodies répondent présent, comme avec le piano et les cordes finales du single « Mauvais Payeur » (déjà un classique), l’étrange instru de « Saoulé », ce « Voir Ailleurs » où Zamdane éclipse La Fève pour quelques instants, et « Castro », un morceau parfois décrié à cause du refrain de $ouley, et qui pourtant est l’un des plus mémorables ici. Et puis on n’oublie pas la jolie mélopée de ce « Lyele Outro » qui termine la mixtape et qui conclut son thème (la perte et le retour de la motivation). Tout cela prouve une bonne fois pour toutes que La Fève a partie gagnée : il a mérité la couronne.