En 2002, la grande heure est arrivée pour Devin the Dude. Le Texan est alors apparu auprès des plus grands : avec Scarface et Too $hort sur le single "Fuck Faces", avec Dr. Dre et Snoop Dogg sur "Fuck You" (oui, ce rappeur fuck beaucoup), un extrait du triomphal 2001. Alors pour son second solo, l'ancien Odd Squad peut mettre toutes les chances de son côté. Mike Dean l'aide à définir une direction, Dr. Dre et DJ Premier participent à la production, Nas, Xzibit et Raphael Saadiq contribuent à des morceaux, en plus des copains de Houston habituels, et Devin enregistre une bonne part de l'album en Californie, dans un cadre professionnel.
Cependant, que fait donc le rappeur pour ce qui aurait dû être son blockbuster ? Il sort la grosse artillerie ? Il roule des mécaniques ? Il fanfaronne, comme on sait parfois le faire à Houston ? Non, au contraire. Il fait profil bas. Il pratique l'autodérision. Devin Copeland reste Devin Copeland, ce type banal dont les seules passions sont les filles et les joints.
Son look ? Ce n'est pas celui d'un rappeur. Selon “Go Somewhere”, on lui refuse l'entrée dans une discothèque parce qu'il lui manque les chaînes en or et les diamants de mise. Sa bagnole ? D'après “Lacville ’79", c'est une Cadillac vétuste qu'il finit par devoir pousser avec la fille qu'il emmenait à l'hôtel. Son sex appeal ? Il est très relatif, à en croire les déconvenues avec les femmes contées sur "It's A Shame". Ses fréquentations ? Un plouc blanc rencontré au bar du coin, selon "R & B". Sa place dans le ghetto ? C'est celle de l'alien Zeldar sur l'introduction du même nom, un type qui va au Walmart du coin et qui trouve le réconfort dans la weed.
Devin n'a que faire du succès. A quoi sert-il si, au bout du compte c'est votre entourage qui en profite et qui vous pique votre herbe et votre alcool, comme le Dude le raconte sur son morceau emblématique "Doobie Ashtray" ? Comme le dit si bien le titre de l'album et la jolie chanson homonyme, ce rappeur-là cherche tout simplement à vivre. Il n'est qu'un homme faillible et vulnérable, avoue-t-il aussi sur "Just A Man", quand il confesse ses infidélités à l'être aimé.
La philosophie de Devin the Dude, c'est de bien faire et de laisser braire, selon "I-Hi". C'est de n'attendre de son art que du bon temps et du sexe avec ses groupies, d'après ce "Who's That Man, Moma" qui s'en prend aux bien-pensants souhaitant débarrasser le rap de ses insanités. C'est de rester près de sa famille, de ses amis, de ses mômes, et de ne s'autoriser comme écart qu'un peu d'alcool et de cannabis, selon ce "R & B" qui signifie en fait "Reefer & Beer". C'est même, au bout du compte sur "Fa Sho", de cesser de courir après des aventures sans lendemain si on ne veut pas finir seul sa vie.
C'est en vérité tout ce qu'on aime chez Devin. Sa modestie, son humour, son ironie douce, sa posture d'homme moyen auquel il est si aisé de s'identifier. Et puis bien sûr, élément décisif, la musique qui va avec, ces mélopées délicates qui, mêlées aux vapeurs de cannabis, aux refrains gentiment chantonnés et aux douces guitares funky, exploitent les instruments suaves du Sud, même quand le producteur est Dr. Dre, ou DJ Premier (lequel, après tout, est aussi un Texan).
Just Tryin' Ta Live n'a pas été un immense succès commercial. Il n'a pas fait de Devin the Dude un nom familier du grand public. Mais il a abouti à mieux que cela. Il l'a institué comme valeur sûre de la scène rap. Et depuis, jusqu'à tout récemment encore, le Texan, toujours égal et fidèle à lui-même, nous a offert d'autres sorties tout aussi appréciables.
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