L'une est profane, l'autre se pare parfois, prétentieusement, d'une aura sacrée. Mais en vérité, il y a peu de différence entre gastronomie et musique. Dans un cas comme dans l'autre, nous avons affaire à des gens doués, certains autodidactes, d'autres pas, qui défendent avec plus ou moins d'audace une tradition locale, qui exploitent avec plus ou moins d'adresse un répertoire de recettes pour exciter les sens de leurs adeptes. Ils préparent les plats, ils les pimentent, ils les agencent, afin de leur offrir un court instant de ravissement.

YOUNG NUDY - Gumbo

Des rappeurs ont parfois mis en exergue ce parallèle entre leur art et celui des chefs. L'exemple le plus notoire, c'est celui de MF Doom et de son Mm..Food, un album dont chaque morceau ou presque prenait le nom d'un plat. Et puis depuis le début de cette année, il y a aussi Young Nudy.

Ce dernier avait déjà manifesté son goût pour la nourriture en nommant des morceaux "Loaded Baked Potato", "Sunflower Seeds", "Hot Wings", "Blue Cheese Salad", "Green Bean" ou encore "KitKat". Mais cette fois c'est l'intégralité de son dernier album, sorti en février et nommé d'après ce plat typique du Sud, Gumbo, qui est composé de tels titres.

Un chef, ça a une patte, un style, une prédilection marquée pour certains ingrédients. Et il en est de même de Young Nudy sur ses albums. Ils sont tous sensiblement différents, mais tous un peu pareils, malgré tout. De sa voix crispée, sur des sons lents, dépouillés et faussement tranquilles, sorte de musique de cirque inquiétante, l'homme d'Atlanta nous parle une fois encore de terrasser ses opposants, dans une ambiance à la fois surréaliste et pesante. Les armes sont de sortie, les balles fusent, des meurtres se profilent à l'horizon.

Et puis aussi, dès le premier titre, "Brussel Sprout", il est question d'un autre art culinaire, celui qui est exercé au sein des trap houses. Les seuls écarts, ce sont les filles, que Nudy prétend baiser entre deux menaces de mort. Ce sont les virées en strip club, comme avec le cousin 21 Savage sur le pornographique "Peaches and Eggplants". C'est, une fois seulement, avec "Passion Fruit", ce qui peut se rapprocher le plus d'une chanson d'amour dans l'univers rude où évolue Nudy.

Tout cela est d'autant plus familier, que le maître saucier est Coupe, celui-là même qui, depuis l'excellent Anyways, est le complice privilégié de Nudy et a succédé à Pi'erre Bourne.

Ce dernier est présent ici aussi, le temps d'une collaboration avec Key Glock, mais c'est bel et bien Coupe qui se taille la part du lion côté production. Et l'alchimie opère encore, sur de très bons titres tels que "Pancake", que ce "M.R.E." rempli des intimidations dont le rappeur est coutumier, ou ce superbe "Portabella" qui présente la drogue comme l'unique échappatoire à la dure condition du ghetto. Et à ceux-là, produit quant à lui par Kid Hazel et 44Wxrld, il faut ajouter "Hot Great", un ultime égo-trip de bandit tournoyant.

Au fond, la musique n'a qu'une grosse différence avec la gastronomie, elle n'a qu'une supériorité : elle persiste une fois consommée. Et celle de Young Nudy, puisqu'il ne sort que des albums solides, on n'est pas près de cesser de la déguster.

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