Elle était bien, la période où Mr. Sche sortait ses albums sur le label du Français Junkaz Lou, en plus de sa propre maison Immortal Inc. Cela se passait près de vingt ans déjà après ses débuts à Memphis, et le rappeur n'avait encore jamais été quoi que ce soit d'autre qu'une référence underground (rien n'a changé depuis). Mais qu'importe. Chacune de ses sorties était classieuse. Chacun de ses albums était réussi. Il était le branleur et le maquereau magnifique qu'il dépeignait sur Supastar. Il était le thug immortel, pour reprendre ce titre clin d'œil à son groupe, Immortal Lowlife, sur cet album sorti en 2010, en CD-R seulement semble-t-il.

MR. SCHE - Immortal Thug

Sur Immortal Thug, plutôt que d'une vie fantasmée de pimp, Mr. Sche traite de la réalité du ghetto. Parfois accompagné de ses comparses d'Immortal Inc. ou d'ailleurs, il décrit sa vie de voyou patenté ("Gangsta Life"). Il parle d'une existence inconnue du commun des mortels, où il faut sans cesse surmonter l'adversité ("Focused to Win"), où les Noirs sont toujours les victimes ("U God"). Il mentionne ces menaces que sont les rivaux, la police et les femmes ("Got Me Fucked up"). Le rappeur livre ses pensées politiques le long des interludes parlés "Real Talk". Il parle de tout cela crûment, mais il évoque aussi ses souffrances, et à travers elles celles de l'homme noir en général, sur des morceaux aussi déchirants que l'admirable "Stay High".

Mr. Sche se dépeint en pécheur tourmenté sur "No Peace", il évoque une vie irrémédiablement compliquée, qui condamne structurellement à la délinquance ("Show the Ghetto some Love"). Comme le disait déjà l'autre, la vie est une chienne et à la fin tu meurs ("The Hardest Life for Me"). Et l'on n'en évacue les peines que par la fumette ("Wake & Bake"). Cette longue réflexion sur le sort peu enviable des hommes de couleur trouve son apothéose avec un superbe "This World Is a Ghetto", sublimé par une boucle de piano relevée, des guitares fiévreuses et des passages chantonnés avec tristesse, des complaintes qui sentent le blues à plein nez.

L'atout maître de Mr. Sche, ce sont ses compositions amples et mélodiques bâties à grand renfort de synthés pompeux et somptueux. Qu'il délivre ou pas des morceaux dans le plus pur style de Memphis (cet "I aint Goin Back to Jail" qui évoque grandement Project Pat), il recourt généreusement à des nappes, comme sur l'introductif "I am Half Human" ou plus tard sur "The Hardest Life for Me", "U God" et "Lets Do the Knowledge", et tout cela confère à Immortal Thug une dimension élégiaque. Sur cet album certes inégal (il dure tout de même près de 70 minutes), mais à nouveau riche de titres d'anthologie, le rappeur est bel et bien le thug immortel. Il est Mr. Sche, l'éternel héros méconnu et malheureux de la scène de Memphis.

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