En 1993 les Souls of Mischief s'engagent, sur leur classique 93 'til Infinity, à chiller jusqu'à l'éternité. Cette promesse, ils l'honoreront peut-être, mais en toute discrétion. Car malgré ce premier album historique, le quartet est débarqué du label Jive Records peu après le second, No Man's Land. Ses quatres rappeurs retournent alors dans l'underground, juste à temps pour devenir des icônes du mouvement indépendant. Sans toutefois égaler l'excellence de leur premier opus, ils contribuent à quelques autres pièces de choix, notamment 3rd Eye Vision, l'album mésestimé de leur collectif Hieroglyphics, avec Del, Casual et toute la bande. Quant au premier solo d'Opio, sorti quelques années plus tard, il abrite lui aussi quelques beaux restes.

OPIO - Triangulation Station

En 2005 Triangulation Station est un album sans surprise, compte-tenu du passif de l'auteur. Il suit en effet toutes les habitudes de l'underground. Opio, tout d'abord, a de la mémoire. Il se souvient que le hip-hop a eu un long passé, du "The Breaks" de Kurtis Blow au "Stress" d'Organized Konfusion, en passant par le "She Watch Channel Zero" de Public Enemy, tous trois cités. Il s'adonne au plaisir éternel de l'égo-trip, sur le mode ludique et plaisant d'autrefois. Sa musique est très ouverte aux scratches, assurés par le regretté Roc Raida. Il apprécie les boucles, aussi, et il privilégie un feeling organique voluptueux, comme sur "Granite Earth", avec le précieux Pigeon John. Opio use également d'un vocabulaire riche et de mots compliqués ("forensic", "astrophysicists", "circumvent", "prognosis", "triangulation"). Et il privilégie la technique sur le tape-à-l'œil, comme le dit l'invité Rasco sur "Confederate Burnining" : "go home baby, hone your skills, while these niggas try to chrome they wheels" (retourne chez toi bébé, perfectionne tes skills, pendant que ces négros cherchent à chromer leurs roues).

Opio, enfin, livre un rap réfléchi, rempli de prises de position. Cela ne doit rien au hasard si l'album s'ouvre sur les mots d'un prêcheur. D'entrée, avec "Viva Main Vein!!!", le rappeur critique les armes et la violence. Sur "Dream... But Don’t Stop", il prend la posture du sage, expliquant à son petit frère qu'il ne doit pas gâcher sa vie et qu'il doit se méfier des tentations que sont les filles, l'argent ou la drogue. Les stupéfiants, il les dénonce aussi sur le portrait de "Roxxanna", une fille attirante dont on ne sait si elle est une dealeuse ou une personnification de la drogue. Enfin, en bon rappeur indépendant, Opio s'en prend vertement aux MCs d'opérette et à l'industrie du divertissement sur "Fist Full", il critique les vidéos avec des filles dénudées pour faire vendre sur "For Those Who don't Know", et sur "What's Wrong With This Picture", avec l'éternel Del, il reproche aux médias de masse de répandre des mensonges.

Epaulé par les autres Hieroglyphics, ainsi que par cette arrière-garde de la scène indé que sont Rasco et Planet Asia, Opio nous offre l'archétype même de rap underground. Avec des morceaux très réussis ("Fist Full", "Granite Earth") qui compensent les plus insignifiants ("Things Do Change", "Talk Dirty"), ce bon album mineur qu'est Triangulation Station est un cas d'école.

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