Si aujourd'hui, il existe en Grande-Bretagne une scène rap florissante, et si elle ne cantonne pas au sous-genre du grime, c'est en partie parce que Nathaniel Thompson a dégagé la voie. En effet, il est difficile d'imaginer l'Angleterre d'aujourd'hui, celle de Dave, de Fredo et d'AJ Tracey, sans penser à la voix grave et au débit lent de Giggs, sans revenir sur son parcours, sans l'avoir vu, albums après mixtapes depuis la fin des années 2000, imposer un rap de gangster dans le style des Nord-Américains (et adoubé par eux : il a collaboré avec Styles P comme avec ce charognard de Drake), et néanmoins immanquablement britannique. Et en 2019, alors qu'avec l'engouement autour des artistes susmentionnés, avec aussi la hype de la UK drill, on n'a jamais parlé autant du rap d'Outre-Manche, il était logique que Big Bad…, cinquième album du rappeur de Peckham, ait droit à quelques égards.

GIGGS - Big Bad...

La liste des invités consacre son statut. On y trouve en effet une belle brochette d'Américains (Jadakiss, Lil Yachty, Swizz Beatz, French Montana, Theophilus London), ainsi que des acteurs clés du grime et apparenté (Ghetts, Wretch 32).

Avec un tel aréopage, Giggs consacre son style, celui de grand méchant du rap anglais. Sa formule, ses percussions, ses onomatopées, ses courtes mélodies entêtantes, ses références au commerce de drogue, ses rimes simples (et même quelques voix sous Auto-Tune) sont celles de la trap music, mais avec une scansion lente, une voix grave, un débit précis, un accent anglais et des relents jamaïcains qui le distinguent, et qui ne le rendent que plus noir et inquiétant.

C'est dans ce style que s'enchainent de premiers morceaux, "Great Collectives", "Set It Off", ainsi que le grand single "187", qui offrent à l'album une saisissante entrée en matière. Après, Big Bad… n'est pas loin de s'éterniser avec ses 70 minutes, mais heureusement le rappeur sait varier les plats.

Giggs, en effet, pour le meilleur comme pour le pire, fait parfois faux bond à son austère noirceur, avec un humoristique et très club "Baby", les sons de vieux jeu vidéo de "Mic Check" (le duo avec Jadakiss), un "Show Me Respect" plein de soul comme au bon vieux temps du rap new-yorkais, le R&B de Labrinth sur "Don't Go Hungry", le triomphant "Gwop Expenses" (en compagnie de Wretch 32) et les gros sabots de Swizz Beatz sur le spécialement médiocre "Terminator". Il chante même (on s'en passerait...) sur le refrain de "Spun It", "Talk About It" et les steel drums de "Who".

Mais il ne faut pas se méprendre, c'est bien Giggs le menaçant qui tire son épingle du jeu, celui de "You Ain't", celui de "Run Me Down" avec Ghetts, celui qui, sur l'excellent "Nostalgia", parle avec Lil Yachty de son passé dans la cocaïne. Ce sont eux, les sommets de ce Big Bad, un album qui n'est sûrement pas le plus essentiel du rap anglais en 2019, mais qui est celui de son acteur le plus central et le plus important, comme l'illustre sa taille de géant sur la pochette.

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