The Lady of Rage nous apporte une preuve que les femmes ont toujours été les sacrifiées du rap. Au début des années 90, un avenir radieux lui était promis. Parce qu'elle était la rappeuse de Death Row, elle participa à ses albums les plus emblématiques, ceux de Dr. Dre et de Snoop Doggy Dogg, et elle eut droit en 1994 à son propre tube, "Afro Puffs", un single produit par Daz Dillinger et extrait de la BO de Above the Rim, qui faisait référence à sa coiffure (elle arborait en effet des couettes afro). Forte de cette place au premier plan, il fut question qu'elle sorte son solo après The Chronic, puis après Doggystyle. Mais Suge Knight avait d'autres priorités. Il investit d'abord sur Tha Dogg Pound, puis sur 2Pac, et son album ne vit le jour qu'en 1997.
C'était bien tard, si l'on se rappelle que la carrière de l'intéressée avait commencé bien avant ses aventures californiennes. Née en Virginie, elle avait débuté à New-York au sein des Outlaw Brothers, sous le pseudo de Rockin' Robin (d'après son véritable nom, Robin Allen), puis elle avait collaboré avec Chubb Rock et avec les producteurs du L.A. Posse. C'est par l'intermédiaire de ces derniers que Dr. Dre l'avait alors découverte, et qu'il l'avait invitée à rejoindre son nouveau label. Il aura donc fallu toute une décennie pour que The Lady of Rage sorte enfin son album, un disque nommé à l'origine Eargasm, avant d'être rebaptisé Necessary Roughness.
Celui-ci sentirait la fin de règne. En 1997, en effet, Dr. Dre avait quitté Death Row, Snoop Dogg s'apprêtait à le faire, 2Pac venait d'être assassiné, Suge Knight était en prison et cet album serait le dernier du label encore distribué par Interscope. The Lady of Rage avait beau bénéficier encore du concours de producteurs importants, Daz Dillinger en premier lieu, mais aussi Easy Mo Bee et DJ Premier, et Necessary Roughness rencontrer un certain succès, il peinerait à s'inscrire dans la lignée des grands classiques de Death Row. Et pourtant, il cherchait bel et bien à perpétuer la légende du label, avec cette introduction qui mettait en scène une émeute, avec le personnage malcommode incarné par The Lady of Rage, avec des singles comme l'efficace "Sho Shot", les repentirs de vilaine fille de "Confessions" ou ce "Rough Rugged & Raw" qui réunissait les derniers mohicans de la bande, Snoop Dogg et Daz.
Producteurs new-yorkais et parcours de la rappeuse obligent, cependant, la musique tirait davantage vers le boom bap de la Côte Est que vers le g-funk californien. "Big Bad Lady", "Super Supreme" et le freestyle "Some Shit", tenaient de l'égo-trip épris de mots compliqués typique de New-York, plutôt que des facilités du gangsta rap. On en revenait même au rap old school avec "Get With Da Wickedness (Flow Like That)". The Lady of Rage s'affranchissait des acquis de son label, au prix de son originalité, au risque de sonner générique. En 1997, en effet, Death Row n'était plus le label révolutionnaire d'antan, et la rappeuse en payait le prix.
D'ailleurs, elle passerait vite à autre chose. Elle ne sortirait plus qu'un street album, VA 2 L.A., en 2005, ainsi que des collaborations avec le fidèle Snoop Dogg. Et elle s'orienterait, comme tant de rappeurs vieillissant avant elle, vers une carrière d'actrice. Au bout du compte, The Lady of Rage aura été de ces artistes qui n'ont jamais sorti d’œuvre à la hauteur de leur statut.
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