Il fut un temps, désormais révolu, presque oublié, où s'affirmait au cœur du hip-hop toute une mouvance afro-centriste. S'y agitait tout un tas de rappeurs engagés, descendus en droite ligne des nationalistes noirs des décennies précédentes, et qui agrémentaient leurs prises de position politiques de considérations millénaristes et de théories complotistes plus ou moins sérieuses. Cette tendance, nul ne l'a représentée de façon aussi éclatante et systématique que le X Clan, dont l'un des chefs de file, Professor X, était le fils d'un célèbre activiste afro-américain, Sonny Carson. Ils l'ont illustrée sur leurs albums, tout comme sur ceux de leur Blackwatch Movement, un collectif qui avait par ailleurs la particularité d'abriter deux femmes.

ISIS - Rebel Soul

L'une de ces rappeuses fut Queen Mother Rage, et l'autre Isis, qui sortit un album assez tôt. En effet, Rebel Soul vit le jour dès 1990, la même année que le To the East, Blackwards du X-Clan. Et il n'avait pas grand chose à lui envier. La connexion sautait aux yeux, en tout premier lieu, parce que Professor X y était omniprésent, parce qu'il intervenait à tout moment, à la manière d'un DJ à mixtape quelques années plus tard. Il en était même envahissant. On aurait préféré qu'il laisse plus de champ à Isis, qui démontrait avec éclat et assurance qu'elle savait rapper.

L'autre point commun, c'est naturellement la prose militante d'Isis, son statut de rebelle, de radicale et de révolutionnaire, et son parti-pris féministe, manifeste sur "Great Pimpstress". La musique, aussi, était proche, et typiquement de son époque avec ses atours funky et ses fréquentes escapades hip-house ("Face the Bass", "Hail the Words of Isis", "The House of Isis"). Enfin, on y trouvait tout le folklore afro-centriste, avec ce goût pour les percussions et les mélopées africaines, avec cette fascination pour l'Egypte et les hiéroglyphes qui se manifestait par le nom de déesse que la rappeuse, Lin Que Ayoung de son vrai nom, avait adopté.

Le militantisme Black Power d'Isis fut sa malédiction. Les années suivantes, en effet, la politique cessera d'être une préoccupation majeure dans le rap. Sous son véritable prénom, la rappeuse suivra donc le même chemin que le Blackwatch Movement, celui de l'ombre et du retrait. Elle aurait pourtant pu revenir, à plusieurs reprises. Avec l'aide de MC Lyte, dont elle était proche et pour laquelle elle signa des textes. Puis au sein de Deadly Venoms, le groupe rap féminin affilié au Wu-Tang Clan dont elle a été un membre éphémère. Mais jamais elle ne trouva de terrain d'entente avec ses labels. Elle dut aussi consacrer du temps à son fils. Et ses quelques sorties, éparses, passeront inaperçues. Demeure donc ce Rebel Soul qui, avec sa couleur afro-centriste et son hip-house à tous les étages, ressemble au vestige d'un temps révolu. Et pourtant, ce n'est pas ce que le Blackwatch Movement aura proposé de plus mauvais, loin s'en faut.

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