En musique, la mère n'existe pas. Quand elle y apparaît, c'est par le regard et les hommages de ses enfants, comme souvent dans le rap depuis au moins le "Dear Mama" de 2Pac. Mais il est rare qu'elle s'exprime. Et pour cause. Pour les rappeuses, et plus généralement pour toutes les chanteuses, la maternité est le moment où l'on se retire. Elle est l'une des raisons pour lesquelles, chroniquement, les femmes sont moins nombreuses en musique. Fini les pitreries, les enfants deviennent une priorité. Alors que les hommes, ces branquignoles, ça ne les dérange pas de de laisser bobonne et bébé à la maison. Brittnee Moore, toutefois, est une exception. Celle-ci, justement, a choisi de se faire appeler BbyMutha, s'appropriant le quolibet d'une autre, qui la traitait de "baby mama" parce qu'elle avait enfanté à l'âge de 17 ans.

BBYMUTHA - Muthaz Day 3

Désormais, alors qu'elle atteint la trentaine, ce sont deux duos de jumeaux qu'élève seule cette native de Chattanooga, Tennessee. Fière de sa maternité, elle les invite sur son album Muthaz Day 3. Ils figurent dans le dialogue d'introduction, tout comme sur la pochette. Le père de ses derniers enfants aurait voulu qu'elle arrête le rap, mais au contraire, tout en restant à domicile pour s'occuper de sa famille, c'est par son biais qu'elle trouve le salut. Après plusieurs projets sur Soundcloud et le single de la révélation, "Rules", en 2017, elle a capté l'attention de SZA, Kehlani, Earl Sweatshirt, et même celle de Björk qui a ouvert un show avec l'un de ses titres.

BbyMutha est une maman, mais c'est surtout de ses amants dont elle parle. Après son expérience avec les pères de ses enfants, elle est sans illusion à leur égard. Elle est revenue des mirages de l'amour. C'est ainsi, sur "Toxic" (où elle sample et pervertit le tube homonyme de Britney Spears), qu'elle parle de relations difficiles, d'un jeu pervers de possession. Sur "R.I.P.", elle envoie paitre les profiteurs. "I ain't missing out on living loving you, I'm loving me instead" ("vivre pour t'aimer ne me manque pas, je m'aime moi, à la place"), dit-elle à un ancien compagnon. Et cette rappeuse ouvertement bisexuelle traite les femmes de la même façon, à en croire "Triangles". Son passé a fait naître chez elle un farouche désir d'indépendance, exprimé avec force sur "D.I.Y.", le moment fort du projet. Elle crache donc sur les autres, même certaines de ses sœurs, les suiveuses en tout cas, comme elle le dit sur le fielleux "Sailor Goon".

BbyMutha partage avec ses contemporaines le goût pour les couleurs et pour les apparences flashy, qui sont la marque de leur génération. Cependant, son album se remarque avant tout pour ses sonorités dépressives, lentes et minimalistes, qui décuplent la force de ses propos hostiles envers le monde extérieur. Il se distingue aussi par l'imagerie sectaire de la pochette. Malgré l'invitation sur le projet de quelques autres rappeurs ou rappeuses, Brittnee a visiblement choisi de concentrer sa vie sur son foyer et sur ses enfants, et à l'en croire, elle ne s'en porte pas plus mal. "Maman, tu ressembles à une rock star", entend-on sa fille Khloe lui dire sur "Triangles". Ce type de compliment, visiblement, devrait suffire à la satisfaire.

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