On pense souvent que le hip-hop a d'abord été un truc de garçons new-yorkais. On imagine, la plupart du temps, que l'irruption de rappeurs sudistes est un phénomène tardif, et que la présence de femmes dans cette musique a toujours été marginale. Mais l'histoire de The Sequence démontre le contraire. Le second single sorti par Sugar Hill Records, après "Rapper's Delight", était en effet l'œuvre de ces trois filles, trois amies issues de Caroline du Sud. Et "Funk You Up", leur premier titre, fut tout sauf anodin. Il fut, tout au contraire, un nouveau succès pour le label pionnier du rap. Ses "ding ding dong" sont encore célèbres aujourd'hui, pour avoir été samplés à plusieurs reprises, notamment par Dr. Dre sur "Keep Their Heads Ringin'". Et d'après les intéressées, peu enchantées de n'avoir pas toujours reçu les dividendes et la reconnaissance qui leur étaient dus, il fut pompé aussi par Bruno Mars sur son "Uptown Funk" .

THE SEQUENCE - Sugarhill Presents The Sequence

Sugarhill Presents The Sequence fut leur premier album. Et le moins que l'on puisse dire, c'est qu'il portait la marque de Sugar Hill Records. A cela, rien de surprenant, puisque c'est en tant que fans de "Rapper's Delight" que Cheryl Cook ("The Pearl"), Gwendolyn Chisolm ("Blondy") et Angela Brown (Angie B) s'étaient mises au rap, qu'elles étaient entrées en contact avec Sylvia Robinson, la patronne du label, qu'elles l'avaient convaincue de la qualité de leurs raps et, en jeunes filles ingénues, qu'elles avaient quitté leur Caroline natale pour découvrir la folie et les excès de New-York. A l'image de quelques autres sorties sous la même étiquette, cet album proposait donc un hip-hop encore en gestation, pas encore détaché du funk et du disco.

Plusieurs chansons évoluaient en terrain soul et funk, comme la ballade "The Times We're Alone", une romance pour le moins sirupeuse, ou le bien-nommé "Funk A Doodle Rock Jam". Leur second single, "Funky Sound (Tear the Roof Off)", était une réinterpretation du "Give Up the Funk (Tear the Roof off the Sucker)" de Parliament, et "Come On Let's Boogie" devait aussi beaucoup à la clique de George Clinton. Même les titres rappés pour de bon, "Simon Says", "We Don't Rap the Rap" et "And You Know That", étaient accompagnés, selon la loi de l'époque, par les instruments du funk. Ils portaient la marque d'un temps où la fonction des raps était de chauffer les pistes de danse des discothèques, sur des plages longues, avec des phrases types, des vers entonnés en chœur, et des cris et sifflets en arrière-plan. Nous ne rappons pas, à moins que ce soit funky, disaient les trois filles sur "We Don't Rap the Rap". Et c'était bien vrai.

En conséquence, Sugarhill Presents The Sequence n'est pas un classique du hip-hop, fut-il old school. Même s'il fut l'un des premiers disques rap à user du terme "gangsta", sur "And You Know That" ("we're not Chic or Sugar Hill, we're the Sequence girls with the gangsta thrill"), il est avant tout le produit d'une époque. Il est d'autant plus générique qu'il lui manque le single-étalon de The Sequence, "Funk You Up". Cet album anodin ne serait pourtant pas la fin de l'histoire pour le trio. Il en sortirait deux autres, et connaîtrait même un autre succès avec "I Don't Need Your Love", une ballade soul qui confirmait l'ancrage de ces filles dans la musique Black traditionnelle. Cet ancrage fort se traduirait aussi par le futur d'Angie B, la seule à faire carrière. A force de côtoyer Prince, Lenny Kravitz et D'Angelo, elle connaîtra le succès autour de l'an 2000, avec les albums Black Diamond et Mahogany Soul, sous le nom d'Angie Stone et sous les traits d'une chanteuse néo-soul. Ironiquement, mais logiquement aussi, c'est sous cette identité que cette pionnière du rap au féminin, voire du rap tout court, est célèbre aujourd'hui.

Acheter cet album